
L'écoute des travailleurs bientôt inscrite dans le Code du travail ?
Un amendement visant à ajouter « l’écoute des travailleurs » à la liste des principes généraux de prévention prévus par le Code du travail sera discuté par les députés le 23 juin 2025.
Et si « l’écoute des salariés » s’ajoutait aux principes généraux de prévention mentionnés dans le Code du travail ? C’est ce que prévoit un amendement au projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social, qui sera discuté en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale à partir du 23 juin 2025.
L’article L4121 du Code du travail édicte les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail. Les mesures que ce dernier doit mettre en œuvre s’appuient sur neuf principes généraux de prévention, tels qu’éviter les risques, évaluer les risques, les combattre à la source, etc. Aujourd’hui, des spécialistes de la santé au travail, des chercheurs et des parlementaires voudraient que « l’écoute des travailleurs » soit ajoutée à cette liste.
Des assises du travail au texte de loi
Portée notamment par Vincent Baud, le président du « Projet 4121 », qui accompagne des entreprises dans l’écoute des travailleurs, cette proposition, issue des Assises du travail de 2023, avait été reprise dans un avis, puis dans un rapport, du Conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2023 et 2025.
Concrètement, cette « écoute » consiste à consulter les salariés de manière formalisée « sur le contenu technique du travail, sur son organisation, sur les conditions de travail et les relations au travail », selon les termes de l’amendement.
Dans une tribune publiée dans « Le Monde », un collectif de spécialistes de la santé au travail, dont Vincent Baud, Sophie Thiery, présidente de la commission travail et emploi du CESE et garante du rapport sur les Assises du travail, et François Desriaux, ancien rédacteur en chef de Santé&Travail, estiment qu’écouter l’expression des salariés sur leur travail réel est pour ces derniers un facteur de santé, contrairement à un management trop descendant.
Reste à donner à cette proposition une traduction législative. Deux tentatives avaient eu lieu début 2024, l’une par le groupe gauche démocrate et républicaine, l’autre venue d’un groupe transpartisan comptant l’actuelle ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, alors députée. Mais elles ont été abandonnées en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale.
« Un principe qui conditionne tous les autres »
C’est donc dans l’actuel projet de loi sur l’employabilité des seniors que l’on retrouve la mesure, avec une différence notable : contrairement aux textes du CESE et des Assises du travail, l’écoute des travailleurs y est définie non pas comme le dixième principe de prévention, mais comme le premier. « On s’est rendu compte que ce ne devrait pas être pas un principe au milieu des autres, c’est un principe qui conditionne tous les autres », commente Sophie Thiéry.
L’amendement a cependant été rejeté au Sénat le 4 juin, au motif qu’il dépassait le cadre du texte de loi sur l’employabilité des seniors. Mais au moment de rendre l’avis du gouvernement, Astrid Panosyan-Bouvet a affirmé : « Je pense que cette question va revenir à l’occasion de la conférence sociale sur la qualité de la vie au travail, que le président de la République a appelée de ses vœux. J’espère que ce principe est un principe d’avenir. »
C’est pourquoi les partisans du projet misent toujours sur son passage à l’Assemblée nationale. Selon Vincent Baud, des députés « des deux bords politiques », (soit Les Républicains, Renaissance, le Parti Socialiste ou les Ecologistes), devraient donner leur feu vert. Charles de Courson (LIOT, Marne) soutiendrait lui aussi.
Prouver que les salariés ont été écoutés
Le député du Bas-Rhin, Thierry Sother (PS), porte l'amendement. « L'écoute des travailleurs, c'est un principe de prévention qui n'implique pas de dépenses supplémentaires pour l'entreprise et qui permet pourtant de lui éviter de nombreux coûts. »
Une évidence qui pourrait sonner différemment aux oreilles des dirigeants d’entreprise. En effet, devant les prud’hommes, les principes de prévention « dessinent la silhouette de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur », commente Michel Ledoux, avocat à la Cour d’appel de Paris, spécialiste de la santé au travail. De fait, si l’écoute devenait un principe de prévention, en cas d’accident du travail, un employeur devrait « justifier d’un échange de points de vue sur le sujet de la prévention » pour éviter de se voir condamné à verser des dommages-intérêts. « Concrètement, il faudrait que les employeurs puissent justifier, tracer et prouver que les salariés ont été écoutés. », expose Michel Ledoux.
Même si la prévention des risques a, in fine, des effets économiques positifs pour les entreprises, cette modification du Code du travail pourrait alourdir la responsabilité civile des employeurs. Et donc ne pas faire l’unanimité de leur côté. A l’assemblée, le texte issu de la commission sera débattu en séance plénière, début juillet.
La prévention primaire, clé de voûte de l’obligation de sécurité, par Michel Miné, professeur du Cnam et avocat au barreau de Paris, Santé&Travail, mars 2025
Les principes généraux de prévention, Santé&Travail, mai 2024
Une initiative pour convaincre les entreprises d’écouter leurs salariés, par Catherine Abou El Khair, Santé&Travail, juillet 2024
« Aujourd’hui, les risques découlent d’abord de l’organisation du travail », entretien avec Hervé Lanouzière et Emmanuelle Wurtz, par Aurore Moraine, Santé&Travail, juin 2023