© Astrid di Crollalanza
© Astrid di Crollalanza

Dans l’enfer de l’entreprise contemporaine

par Clotilde de Gastines / octobre 2019

Avec Cora dans la spirale, l’écrivain Vincent Message signe un roman surprenant sur le malaise des cadres. Si les personnages sont fictifs, les effets dévastateurs d’un management brutal sur les femmes et les hommes sont, eux, bien réels.
 

Cora, maman trentenaire, travaille au service marketing d’une société d’assurances. C’est une femme ambitieuse qui souhaite laisser une trace dans le monde. Mais une restructuration économique va bouleverser son destin… Dans son précédent roman, Défaite des maîtres et possesseurs, Vincent Message proposait une fable dystopique, où les hommes étaient traités comme des bêtes par des êtres venus d’ailleurs pour coloniser la Terre. Avec Cora dans la spirale1 , nous ne sommes plus dans la science-fiction mais dans la dure réalité de la vie au travail et du capitalisme contemporain. L’auteur a choisi pour décor une société mutualiste qui doit jouer des coudes dans un monde devenu férocement concurrentiel. « Je ne voulais pas placer cette restructuration dans le monde de la banque, très excessif, ni dans un service public à la France Télécom, un cas extrême, dont j’ai suivi le procès des dirigeants en me rendant régulièrement aux audiences », relate-t-il. A ses yeux, la noblesse du métier d’assureur ne fait de doute pour personne. Et l’activité correspondait à la centralité qu’il souhaitait donner à la notion de risque dans son ouvrage. Quels risques sommes-nous prêts à prendre pour mener la vie qui nous intéresse et exercer le métier qui nous passionne ? A l’inverse, lesquels sommes-nous résolus à éviter pour échapper à la précarité et avoir une vie de famille épanouie ?

Au cœur de la souffrance au travail

Dans l’entreprise en pleine mutation, Vincent Message s’applique à disséquer la violence du management à travers une galerie de personnages : Delphine, la consultante sensible mais détachée, chargée de mettre en place une brutale réorganisation ; Franck, le requin qui ne veut pas perdre de temps dans la course de vitesse et qui malmène Cora ; Edouard, l’ancien chef respecté, véritable figure humaniste qui va vite se retrouver dépassé par la nouvelle culture de l’entreprise. « Je voulais montrer l’évolution de Cora au sein d’un système, d’un groupe où les points de vue sont multiples et où chacun a son passif, ses envies, ses projections », explique l’écrivain, qui s’est appuyé sur une large documentation sur la souffrance au travail. Il a réalisé de nombreux entretiens avant de mettre en scène son récit, porté par la voix du narrateur, un journaliste qui enquête sur l’histoire de l’héroïne. « Cora pourrait demander un arrêt maladie, aller voir un médecin du travail, changer de boulot, mais quand elle veut se rattraper aux branches, aucune n’est assez solide », indique Vincent Message. Les syndicalistes ne sont pas dépeints sous leur meilleur jour, trop occupés à élaborer leur stratégie sur la fermeture des centres de gestion en région pour prendre en compte l’appel à l’aide de la jeune femme.
« Ce qui arrive à Cora peut concerner tout un chacun, pas seulement des personnes qui sont fragilisées, mais aussi celles qui s’impliquent dans leur travail et dont le métier se vide de sens pour une raison ou pour une autre », avertit le romancier. Selon lui, minimiser le malaise des cadres en le réduisant à un problème de riches serait une erreur. Il le montre avec cette descente aux enfers où les victimes ne seront pas forcément celles que le lecteur pressent.
  • 1Editions du Seuil