© Christophe Boulze
© Christophe Boulze

L’ergonome qui aimait l’école

par Nathalie Quéruel / avril 2022

D’un côté ou de l’autre du pupitre, Dominique Cau-Bareille a passé une bonne partie de sa vie dans les salles de classe. Fille d’instituteurs devenue chercheuse en ergonomie à Lyon, elle se distingue par ses enquêtes sur les conditions de travail des enseignants.

Il n’est guère étonnant que Dominique Cau-Bareille, maîtresse de conférences à l’Institut d’études du travail de Lyon (IETL), ait fait du milieu enseignant, et particulièrement celui du primaire, son domaine de prédilection. Ses recherches en ergonomie, qu’il s’agisse des fins de carrière des professeurs ou de l’impact du genre sur leurs conditions de travail, font autorité. Mais c’est avec une simplicité touchante qu’elle confie : « J’aime l’école. »
La première dont elle se souvient, c’est celle du petit village de Milly, dans le Maine-et-Loire, où ses parents instituteurs ont été mutés, avant que son père soit nommé directeur d’école, dans la commune proche de Gennes. La maison de son enfance possédait une cour de récréation. Le week-end, elle s’amusait à préparer les polycopiés pour les élèves, en faisant tourner la « ronéotypeuse » à l’entêtante odeur d’alcool. « Mon père, issu d’une famille paysanne pauvre, considérait l’école comme un vecteur essentiel de la connaissance, raconte-t-elle. Même en 1968, il a continué à faire classe… dans les bois. C’est de lui que je tiens mon attachement au monde enseignant. »

Docteure en vieillissement au travail

Il lui aura cependant fallu quelques détours pour le retrouver. Revenue dans sa ville natale, Toulouse, pour décrocher un DESS de psychologie du travail et un DEA en sciences du comportement, l’étudiante – qui aime fonder ses recherches « sur le terrain et la connaissance du réel » – bifurque vers l’ergonomie pour son doctorat. Son sujet ? Les effets de l’expérience professionnelle sur les processus cognitifs à l’épreuve du vieillissement : « Au milieu des années 1980, je ne pensais pas que la question de l’allongement de la vie active, conjugué au durcissement des conditions de travail, prendrait autant d’importance. »
Ces travaux, elle les a poursuivis en rejoignant en 1990 l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets), à Lyon, et le Centre de recherches sur l’expérience, l’âge et les populations au travail (Creapt), à Paris.
C’est en 1998 que l’enseignement revient dans sa vie, quand un poste se libère à l’IETL. La voilà de l’autre côté du pupitre. Au sein de l’université de Lyon 2, l’IETL forme des juristes en droit social, des responsables des ressources humaines, des ergonomes, des sociologues… avec une approche pluridisciplinaire, où l’ergonomie tient toute sa place. « Quand je leur propose de considérer la législation sous le prisme de cette science, les étudiants me regardent comme… une extraterrestre, s’amuse-t-elle. Pourtant, il est essentiel de désenclaver leur regard. Le document d’évaluation des risques n’est pas qu’une obligation de l’employeur, si on en fait un support de dialogue social basé sur l’activité des travailleurs. Même chose pour le compte pénibilité, si on s’intéresse aux parcours professionnels pour intégrer les enjeux de santé au travail. » Parallèlement, elle mène ses recherches au laboratoire Education, cultures, politiques de Lyon 2.
Ses travaux sur les fins de carrière chez les enseignantes de maternelle ont marqué les esprits (voir A Lire). Comme en témoigne Michelle Olivier, alors secrétaire nationale du SNUipp, le syndicat de la FSU dans le premier degré : « Elle a mis le doigt sur la réalité d’un métier usant dont on ne parlait pas. C’est une de ses qualités, cette façon de questionner des points aveugles, tout en rendant son expertise scientifique accessible à chacun. »

La crise sanitaire, un foyer d’innovation

Ils ont aussi éclairé Cécile Brunon, ex-institutrice et doctorante en ergonomie, sur des stratégies de préservation de la santé prenant l’apparence trompeuse d’un désengagement chez les plus âgés : « Alors que la recherche sur l’école est essentiellement portée par les sciences de l’éducation, Dominique apporte une compréhension inédite du travail enseignant et de sa complexité, mettant en lumière les ressorts des difficultés ressenties par les professeurs. »
Originalité de son parcours, Dominique Cau-Bareille est investie depuis 2006 au sein de plusieurs chantiers de l’Institut de recherches de la FSU. Elle anime également des stages à la demande des équipes : une façon de partager le fruit de ses travaux, de nourrir ses réflexions des réalités du terrain vécues par les enseignants et de vivre son engagement syndical.
A l’Institut de la FSU, elle se sent aussi indépendante qu’ailleurs dans le choix des sujets qu’elle explore. Comme le chantier portant sur les « contractuels », de plus en plus nombreux à l’Education nationale, vivant au rythme d’emplois du temps décousus et sans congés rémunérés. « Il faut étudier non seulement leurs conditions de travail mais aussi les effets de leur arrivée sur l’activité du personnel statutaire, explique-t-elle. C’est aussi mon rôle d’amener le syndicat à réfléchir sur des problématiques émergentes. »
La pandémie de Covid-19 en a été une, inattendue et brutale. Dès le printemps 2020, Dominique Cau-Bareille et Cécile Brunon démarrent une enquête auprès des professeurs des écoles, avec l’objectif de documenter ces mois exceptionnels, entre confinements, cours à distance, classes en demi-jauge, protocoles sanitaires et autres vicissitudes.
La désorganisation institutionnelle a contraint les enseignants à bricoler, souvent avec inventivité, étant donné leur manque de moyens. « Si cette situation a été pénible pour beaucoup, elle a été mieux vécue là où il y avait des collectifs forts », constate la chercheuse, qui poursuit : « La crise sanitaire, en empêchant les gestes de métier habituels, a mis en visibilité le travail de renormalisation de leur activité. » A ses yeux, l’Education nationale et les syndicats auraient tout intérêt à s’intéresser à ces innovations, qui se sont déployées hors de toute prescription. Elle-même en est encore étonnée et admirative…

A lire