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L’espoir d’un procès pénal de l’amiante renaît

par Eliane Patriarca / 22 janvier 2021

La chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris est revenue sur un non-lieu prononcé en 2018 dans l'affaire Everite. Un arrêt décisif puisqu’il a vocation à s’appliquer à d’autres dossiers de l'amiante, pour lesquelles des non-lieux avaient aussi été prononcés.

Est-ce la fin d’un déni de justice ? Pour l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), c’est pour le moins une victoire juridique inespérée, un horizon qui se rouvre et rend de nouveau envisageable, vingt-cinq ans après le dépôt des premières plaintes, la tenue d’un procès pénal de l’amiante1 . La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a en effet infirmé, le 20 janvier, le non-lieu rendu en décembre 2018 dans l’un des dossiers de ce scandale sanitaire, celui des victimes de la société Everite, une filiale de Saint-Gobain. Avec notamment, le cas emblématique et poignant des frères Giaretta, qui avaient travaillé quelque trente années sur le site Everite de Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne), spécialisé dans la production de tôles et de tuyaux en amiante-ciment. Gilbert est mort en 2002 d’un mésothéliome, le cancer de la plèvre provoqué par la fibre tueuse ; Angelo est décédé en 2004, de la même maladie. Leurs familles ont porté plainte pour homicide involontaire en 2005.
L’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel résonne comme un désaveu cinglant pour les juges d’instruction en charge des dossiers amiante au pôle judiciaire de santé publique de Paris qui ont prononcé, entre 2018 et 2019, une pluie de non-lieux : Everite donc, mais aussi Eternit, l’ex-leader européen de l’amiante-ciment, l’équipementier automobile Ferodo-Valeo à Condé-sur-Noireau (Calvados), la Direction des constructions navales (DCN) à Cherbourg (Manche). Comme si la catastrophe industrielle générée par la fibre mortifère n’avait pas de responsables. Comme si le lien de causalité entre l’exposition professionnelle et la maladie ou la mort des victimes n’était pas établi de longue date.

La fin d’un contresens

Pour étayer leurs non-lieux, les juges s’appuyaient sur un rapport d’expertise judiciaire daté de février 2017. Selon leur interprétation, il serait impossible « d’établir a posteriori la date effective de la commission d’une éventuelle faute ayant entraîné une contamination puis intoxication. »
« Cet aléa dans la date des faits ne pourra pas permettre de conduire des investigations ciblées et efficaces de nature à réunir des charges qui pourraient être imputées à quiconque », assuraient-ils le 9 juin 2017, et donc de « l’imputer avec certitude à une personne physique ». S’alignant sur leur analyse, le parquet avait demandé, le 13 juin 2017, la fin des investigations, ouvrant ainsi la voie aux non-lieux. L’Andeva avait aussitôt interjeté appel, estimant que les magistrats instructeurs faisaient « une lecture erronée du rapport d’expertise, un contresens total menant à un fiasco judiciaire », selon Sylvie Topaloff, l’une des avocats de l’association.
De fait, l’arrêt rendu par la chambre d’instruction de la cour d’appel prend l’exact contrepied de l’analyse des magistrats du pôle de santé publique. Citant le même rapport d’expertise, il souligne qu’« il n’existe aucun seuil d’innocuité pour les pathologies liées à l’amiante ».
« Le rapport d’expertise ne dit pas qu’il n’y a pas de date précise de contamination mais que dans les modèles de risques sans seuil, la période d’exposition, la période de contamination et la période d’intoxication coïncident », rectifie l’arrêt, poursuivant : « La notion d’intoxication résulte selon les experts d’un processus “ d’accumulation ” des fibres respirées. Dès lors c’est toute la période d’exposition qui contribue à la maladie et/ou au décès. » Or s’il y a une date qu’on connaît avec précision pour chaque victime, c’est bien celle de leur première exposition, qui correspond à leur embauche dans l’usine.

Responsabilité pénale engagée

Sur le plan du droit pénal, l’arrêt désavoue aussi les juges d’instruction. « Le fait que plusieurs personnes aient pu contribuer à la réalisation de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des victimes ne présente aucune difficulté sur le terrain de la responsabilité pénale et ne conduit pas à reconnaître une responsabilité collective contraire aux principes fondamentaux du droit pénal (…) », est-il écrit.
« C’est un verrou qui a sauté ! », commente Jean-Paul Teissonnière, l’un des avocats de l’Andeva. Cette décision a en effet « vocation à s’appliquer à tous les autres dossiers dans lesquels des non-lieux avaient été prononcés entre 2018 et 2019 ».
« Au-delà, il concerne aussi tous les dossiers de pathologies professionnelles provoquées par des substances toxiques sans seuil d’innocuité », se réjouit Sylvie Topaloff. « C’est la fin d’une attente interminable et cruelle imposée aux victimes et à leurs familles », souligne Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva. Trois années ont néanmoins été perdues dans la recherche des responsabilités de cette catastrophe industrielle, tandis que les victimes meurent l’une après l’autre. « La catastrophe de l’amiante n’appartient pas au XXe siècle, rappelle Jean-Paul Teissonnière, elle est loin d’être terminée. » Selon l’étude publiée en 2019 par Santé publique France, chaque année, on comptabilise 1 100 nouveaux cas de mésothéliome.

  • 1Le parquet général près la cour d'appel a annoncé le 22 janvier qu'il allait former un pourvoi en cassation.