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L’exposome, empreinte des expositions d’une vie

par Henri Bastos, directeur scientifique santé-travail à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). / octobre 2022

Environnement, travail, mode de vie… Des facteurs de risque se conjuguent à notre capital génétique pour expliquer certaines maladies. Si le concept d’exposome s’impose en santé publique pour renouveler la prévention, sa diffusion dans le champ de la santé au travail interroge.

C’est un fait remarquable, introduit dans le Code de la santé publique par une loi de modernisation du 26 janvier 2016. Il y est désormais écrit que la politique de santé comprend « la surveillance et l’observation de l’état de santé de la population et l’identification de ses principaux déterminants, notamment ceux liés à l’éducation et aux conditions de vie et de travail. L’identification de ces déterminants s’appuie sur le concept d’exposome, entendu comme l’intégration sur la vie entière de l’ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine »1 . Voilà une disposition qui enjoint les acteurs concernés à s’intéresser et surtout à prendre en compte, dans le cadre de leur pratique professionnelle, l’ensemble des déterminants de santé dans une approche globale, cumulée et longitudinale (c’est-à-dire dans le temps). Dorénavant, l’exposome dont il est ici question n’est plus seulement un enjeu de recherche scientifique. Mais que recouvre ce terme précisément ?
La notion d’exposome est récente. C’est en 2005 que Christopher Wild, épidémiologiste et directeur du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de 2009 à 2018, en parle pour la première fois. Le contexte est particulier. En effet, quatre ans plus tôt a été annoncée une avancée majeure, fruit d’un énorme projet de collaboration scientifique internationale lancé à la fin des années 1990, où ont été investis des milliards de dollars : le séquençage du génome humain. Ce décodage de l’information génétique contenue dans notre ADN devient un atout majeur pour la localisation et la caractérisation de gènes impliqués dans de nombreuses pathologies, telles que les cancers. Et ouvre autant d’opportunités pour l’identification de traitements et une meilleure prise en charge des patients.

Données parcellaires sur les expositions environnementales

Seulement, le génome n’est pas le principal contributeur aux maladies chroniques humaines. Celles-ci résultent d’une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. Mais notre compréhension des causes environnementales (incluant les expositions professionnelles) des pathologies reste sommaire, en partie parce que, dans la plupart des études épidémiologiques, on ne dispose que de peu de données sur les expositions. Et quand on en dispose, elles sont « indirectes », produites à travers des questionnaires, souvent de manière rétrospective, avec toutes les incertitudes qui s’y rattachent. Elles ne résultent que rarement de mesures.
C’est parce qu’il constate un déséquilibre entre les efforts financiers consentis pour l’amélioration des connaissances sur les gènes et pour améliorer celles sur l’environnement que Christopher Wild met en lumière le concept d’exposome, qui « englobe les expositions environnementales au cours de la vie (y compris les facteurs liés au mode de vie), depuis la naissance jusqu’au décès ». Il le fait notamment pour attirer l’attention sur la nécessité de développer des outils méthodologiques permettant une évaluation plus complète de ces expositions, qui viendrait s’ajouter aux bénéfices de l’étude du génome. En 2012, le chercheur a précisé sa définition initiale, détaillant trois domaines d’investigation à considérer : le milieu interne (taux d’hormones, métabolisme…), le milieu externe spécifique (les polluants chimiques environnementaux, les rayonnements, les micro-organismes…) et le milieu externe général (les facteurs économiques, psychosociaux, l’environnement urbain ou rural, le climat…).

Une cartographie à réaliser

Par la suite, d’autres contributions sont venues enrichir la notion d’exposome. Certaines soulignent l’importance des facteurs liés aux communautés et au mode de vie, comme la densité de population. A l’heure actuelle, la définition n’est donc pas figée. A minima, on retiendra dans cette diversité trois dimensions principales qui déterminent l’exposome : l’approche intégrative, c’est-à-dire une prise en compte simultanée des expositions ; l’approche longitudinale, soit l’étude de la dimension cumulative des expositions sur un temps long ; la caractérisation des expositions notamment à partir de différents biomarqueurs.
Mais cartographier précisément l’exposome, soit la totalité des expositions d’un individu, comme on a pu le faire pour le génome, représente une tâche colossale tant la collecte des données, sur une vie entière, s’avère complexe. Du fait des évolutions technologiques, il existe cependant de plus en plus d’outils pour évaluer les expositions de manière directe ou indirecte. On peut s’appuyer par exemple sur des systèmes d’information géographique, pour mesurer les polluants atmosphériques ou le bruit. Ou recourir à des bracelets connectés personnels, munis de capteurs, qui recueillent de multiples paramètres physiologiques ou de l’environnement. De même, des applications permettent de documenter notre alimentation, les cosmétiques que nous utilisons, les médicaments que nous prenons, etc.
D’autres technologies pointues, dites « à haut débit » ou « omiques », comme la transcriptomique (qui permet une analyse des ARN messagers d’une ou plusieurs cellules), la protéomique (qui étudie les protéines), ou encore la métabolomique (qui explore l’ensemble des métabolites) sont également mobilisées dans l’évaluation : elles établissent, en quelque sorte, la « signature » d’expositions environnementales spécifiques externes combinées aux facteurs internes. Reste que le traitement de ces données requiert des méthodes statistiques sophistiquées dont le développement demeure un vrai défi scientifique.

Exposome et polyexposition, même combat ?

Si l’exposome a fait son entrée dans le Code de la santé publique, lui donnant une réalité plus concrète, il ne figure toujours pas dans le Code du travail. Toutefois, la loi du 2 août 2021 réformant la santé au travail introduit une notion pas si éloignée, en précisant que « les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des risques chimiques sont déterminées par décret en Conseil d’Etat, pris en application de l’article L. 4111-6, en tenant compte des situations de polyexpositions »2 . Mais que sont ces polyexpositions ? Aucune définition légale n’en a été donnée. Selon des travaux coordonnés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans le cadre du troisième plan santé-travail, il s’agit des « expositions par des voies multiples (via l’inhalation, l’ingestion et/ou le contact cutané), à des agents/nuisances multiples, qu’ils soient chimiques, biologiques, physiques, en tenant compte de l’influence des facteurs organisationnels et psychosociaux, et ce tout au long de la carrière professionnelle ». Certains préfèrent utiliser le terme de « multiexposition », de manière analogue.
Certes, ces nouvelles obligations ne concernent que l’exposition des travailleurs à des substances chimiques ; mais l’employeur doit désormais prendre en compte dans son évaluation des risques l’« exposition simultanée ou successive à plusieurs agents chimiques » et « les effets combinés de l’ensemble de ces agents »3 . L’harmonisation des terminologies pourrait d’ailleurs être un bon vecteur pour construire une approche partagée de la santé publique, de la santé environnementale et de la santé au travail. Ce point est d’ailleurs un des objectifs du quatrième plan santé-travail, adopté en décembre 2021.

Un risque de dilution des responsabilités

Or, le concept d’exposome est encore perçu par beaucoup comme spécifique à la santé publique. En outre, d’aucuns estiment que, s’il était introduit dans le droit de la Sécurité sociale, cela pourrait induire une forme de confusion et un risque de dilution des responsabilités, problématiques dans le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles, notamment celle des pathologies multifactorielles, comme les cancers. Franck Héas, professeur de droit privé à l’université de Nantes, a souligné ce point dans un article de la revue Droit social (voir A lire) : « Si le concept est adapté et utile pour construire le droit de la santé au travail en lien avec le droit de la santé publique dans une logique préventive, le transfert éventuel de ce concept dans le droit social paraîtrait inapproprié en matière de reconnaissance des risques professionnels. » Cela tendrait à « ouvrir la voie à une limitation de la prise en charge des salariés victimes », alerte-t-il.
Pour tenter de pallier ces difficultés, certains commencent à promouvoir le concept d’« exposome professionnel », qui permet d’intégrer la dimension temporelle dans l’approche des polyexpositions. C’est en tout cas un effet bénéfique apporté par cette notion à l’heure actuelle : elle (re)mobilise les acteurs de la santé au travail et de la prévention pour penser globalement l’ensemble des expositions et donc des risques professionnels. Ce qui correspond à une réalité du monde du travail puisque la quasi-totalité des salariés français sont polyexposés. En outre, voilà à nouveau mise en évidence l’impérative nécessité d’assurer une traçabilité, si possible individuelle et a minima collective, des expositions professionnelles tout au long de la carrière des travailleurs.
Néanmoins, force est de constater que nous manquons encore aujourd’hui de connaissances solides sur les effets des expositions cumulées, afin que puissent être développés des outils de prévention directement opérationnels pour les acteurs de terrain.

  • 1Article L. 1411-1 du Code de la santé publique.
  • 2Article L. 4412-1 du Code du travail.
  • 3Sixième point de l’article R. 4412-6 du Code du travail, issu du décret n° 2022-395 du 18 mars 2022.
A LIRE
  • « Le concept d’exposome à l’aune du droit social », par Franck Héas, revue Droit social n° 6,  Dalloz, 2020.