« L'héroïne de Rouge refuse que les ouvriers meurent de leur travail »
Dans les salles depuis le 11 août, le film « Rouge » raconte le dilemme d’une jeune infirmière du travail embauchée dans une usine rejetant des boues toxiques, où son père est responsable syndical. Le réalisateur Farid Bentoumi s’interroge sur les formes de l’engagement.
Comment est né le projet de ce long-métrage ?
Farid Bentoumi : Mes parents, syndicalistes et adhérents du Parti communiste, ont fait beaucoup de grèves et de manifestations pour sauver leurs emplois, s’opposer à la fermeture de leurs usines. Ces dernières années, ces formes d’engagement diminuent. Lesquelles les remplacent ? Quelle est ma manière de m’engager ? Je me suis beaucoup documenté sur les lanceurs d’alerte pour leur consacrer un film, en parlant du monde ouvrier. Au cours de ces recherches, je suis tombé sur l’usine d’alumine Alteo, à Gardanne (Bouches-du-Rhône) : depuis trois décennies, elle pollue l’environnement de ses boues rouges, tout en étant soutenue par les syndicats et un député écologiste pour préserver l’emploi. Alors ministre de l’Écologie, Ségolène Royal a défendu l’arrêt du site demandé par les lanceurs d’alerte, mais le ministère de l’Économie s’y est opposé. D’autres affaires ont nourri le scénario, mais j’ai conservé les boues rouges très cinématographiques.
Pourquoi placer le regard d’une infirmière du travail au centre de votre récit ?
F.B. : Infirmières et médecins du travail sont dans l’entreprise et un peu à côté, avec un point de vue spécifique sur la santé. Je trouvais intéressant que la lanceuse d’alerte soit considérée comme en bas de l’échelle. Il est possible d’alerter même à un « petit » poste. Je suis impressionné par les personnes qui s’opposent à leur entreprise, parfois aux prix de sacrifices énormes, pour faire éclater la vérité.
Rouge n’épargne ni la direction, ni les syndicalistes, ni les politiques, ni le médecin du travail.
F.B. : Il s’agit d’une somme de responsabilités – c’est aussi pourquoi on ne parvient pas à trouver de solution pour le changement climatique. Mon film montre les raisons qui animent chacun pour agir comme il le fait, avec en particulier la volonté de sauver l’emploi de la part des syndicalistes, de la direction de l’usine et du député. Mais évidemment j’estime que le grand patron d’un groupe a plus de responsabilités que les autres ; et l’héroïne de Rouge est une infirmière refusant que les ouvriers meurent de leur travail. Fermer une usine n’est pas la solution parce que le groupe international qui la détient va la relocaliser en Malaisie, en Guinée ou au Ghana où les contraintes environnementales et la législation en santé au travail sont moindres ou nulles. Il faut donc investir pour que ces usines polluent moins et exposent moins leurs salariés, ce qui ne peut être qu’une décision collégiale avec les pouvoirs publics.
Avez-vous eu des retours en amont de la sortie de votre film ?
F. B. : J’ai fait quelques avant-premières où il y avait toujours des personnes concernées par ces problématiques, ce qui suscitait des débats riches autour de la santé des employés et les économies que les entreprises font trop souvent à leur détriment. Je craignais que ce film soit perçu comme anti-syndicaliste, mais la CGT a trouvé intéressant la description d’un système qui dépasse et écrase ouvriers et syndicats.