« L’indemnisation sera plus proche de la réalité des souffrances »

entretien avec Frédéric Quinquis, avocat associé du cabinet Ledoux, défenseur des victimes de l’amiante et des risques du travail.
par Aurore Moraine / avril 2023

Comment accueillez-vous les arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 20 janvier ?
Frédéric Quinquis :
Nous attendions cette décision. Nos contradicteurs nous ont longtemps opposé, au stade de l’indemnisation des préjudices des victimes du travail, la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 28 février 2013, selon laquelle, après consolidation de l’état de santé du salarié, la rente indemnise également ses souffrances physiques et morales. Nous nous sommes battus contre cette conception dite hypertrophiée de la rente. Il était choquant que des juridictions n’appliquent pas la loi, plus précisément l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, qui affirme expressément qu’« indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de Sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées ». Les employeurs étaient déresponsabilisés. Avec les arrêts de l’assemblée plénière, l’indemnisation sera plus proche de la réalité des souffrances. Elle sera aussi plus juste.

Cette décision va-t-elle amener les entreprises à mettre le curseur sur la prévention primaire ?
F. Q. : C’est assez mécanique. Dès lors que les juges « tapent au portefeuille », on peut supposer que les employeurs vont investir plus de moyens dans la prévention, pour éviter de dépenser beaucoup d’argent dans l’indemnisation. Cette décision de l’assemblée plénière va clairement dans ce sens. J’observe qu’un arrêt récent de la chambre sociale de la Cour de cassation, du 8 février 2023, envoie le même message aux employeurs. La chambre sociale condamne une entreprise utilisatrice à indemniser un salarié d’un sous-traitant de son préjudice d’anxiété. Les juges reprochaient notamment à l’entreprise utilisatrice de ne pas avoir établi un plan de prévention avec les sociétés sous-traitantes (voir aussi).

Quels sont les prolongements possibles de cette nouvelle jurisprudence pour les salariés souffrant de troubles musculosquelettiques (TMS) ou de risques psychosociaux (RPS) ?
F. Q. : Sur des pathologies comme les TMS, le déficit fonctionnel permanent (l’atteinte à la qualité de vie) sera indemnisé à part entière. Concernant ce type de dommages, il y aura un poids supplémentaire d’indemnisation, ce qui devrait inciter les employeurs à réfléchir à la prévention. S’agissant des RPS, le raisonnement est identique mais c’est plus compliqué. Le problème demeure qu’avec les atteintes de la sphère psychique, il est toujours difficile de déterminer le déficit fonctionnel permanent, après consolidation.