L'Inspection du travail n'en peut plus

par Eric Berger / 24 mai 2011

Entre les mouvements permanents de réorganisation, les suppressions de postes et la mise en œuvre d'outils managériaux contestés, les inspecteurs du travail dénoncent une dégradation de leurs conditions de travail et une remise en cause du sens de leur mission.

Le mercredi 4 mai, Luc Beal-Rainaldi, inspecteur du travail et militant syndical, s'est donné la mort dans les locaux du ministère du Travail. Ce drame a suscité une très vive émotion dans les rangs des fonctionnaires, mais aussi beaucoup de colère.

Pour le Snutefe-FSU, l'organisation syndicale dont Luc Beal-Rainaldi était secrétaire national, ce suicide n'est certainement pas sans lien avec un contexte professionnel particulièrement dégradé au sein de l'Inspection. Dans un communiqué, le syndicat dénonce « le rythme effréné des réformes, qui broient les services de l'Etat et leurs agents et détruisent les valeurs du service public ».

Depuis 2006, l'Inspection du travail est soumise à plusieurs réorganisations. C'est d'abord le lancement du « plan de modernisation et de développement », qui prévoit, après des années de fonctionnement en sous-effectif, de renforcer le nombre de contrôleurs et d'inspecteurs avec la création de 700 postes entre 2007 et 2010. La modernisation consiste à créer de nouveaux emplois d'inspection, certains venant en appui méthodologique à leurs collègues opérant dans les sections, les autres étant des postes spécialisés sur un secteur professionnel ou sur une thématique particulière, comme le contrôle des établissements classés « Seveso » ou le contrôle du travail illégal. 

Contre la spécialisation des missions

Cette mesure a été contestée par les syndicats, qui déploraient la remise en cause du caractère généraliste de la mission de l'Inspection du travail. En 2009, le Snutefe-FSU a déposé un recours devant le Conseil d'Etat pour demander l'annulation d'une note Dagemo-DGT qui confiait aux directeurs régionaux du travail d'organiser cette spécialisation. Rappelant notamment le caractère particulier des responsabilités des inspecteurs du travail, l'arrêt du 27 avril dernier a donné gain de cause à l'organisation syndicale.

Deux ans après l'adoption du plan de modernisation, une autre réforme est lancée. Il s'agit cette fois de fusionner sous la seule responsabilité du ministère du Travail l'ensemble des services de l'Inspection qui dépendent d'autres ministères, comme l'Agriculture et les Transports. « Nous avons toujours plaidé pour un regroupement des services, souligne Pierre Mériaux, du Snutefe, mais, dans le cadre de la réforme de l'Etat, cette fusion vise surtout à réduire le nombre de postes de fonctionnaires. A cette occasion, des postes de secrétariat dans les sections d'Inspection qui étaient non pourvus ont été supprimés. » « Nous entrons aujourd'hui dans la seconde phase de la révision générale des politiques publiques, avec une nouvelle série de suppressions d'emplois dans l'ensemble des activités venant en support des agents de terrain », ajoute Lise Rueflin, représentante du même syndicat. 

Objectif : deux cents interventions par an

Ces évolutions s'accompagnent de la mise en œuvre de méthodes managériales qui altèrent le sens même du travail, comme en témoigne la fixation d'objectifs. « Non négociables, ces objectifs quantitatifs sont un déni de la réalité du travail et de sa complexité, affirme Lise Rueflin. On nous demande, par exemple, de réaliser deux cents interventions par an, mais entre une visite de chantier se traduisant par de simples remarques et un contrôle des temps de travail dans une entreprise de transports, le niveau de travail fourni n'est pas le même. » L'évaluation de l'agent se fait ensuite sur la base d'un outil de reporting, qui entretient cette vision mécanique et comptable de l'activité.

Martine Millot, de l'association L. 611-10, soutient également que « cette approche managériale tourne le dos à la réalité du travail » : « Elle tend à "oublier" que la fonction des inspecteurs et des contrôleurs est une mission au service de l'ordre public social, définie par la loi, mais aussi par la convention 81 de l'Organisation internationale du travail, qui garantit les conditions de son exercice ainsi que le pouvoir autonome des inspecteurs du travail. Elle nie aussi que cette fonction est un métier qui se construit dans et par les échanges permanents entre collègues ainsi que par un va-et-vient incessant entre individuel et collectif. » Pour cette inspectrice, les risques psychosociaux n'épargnent plus le ministère du Travail.

Epuisement professionnel et psychique

En dépit de signes troublants comme l'accroissement de 30 %, entre 2008 et 2009, des arrêts maladie des fonctionnaires de catégorie A, le ministère est resté sourd aux avertissements lancés par les syndicats. « Le soutien de la hiérarchie est inexistant et le dialogue social, qui se résume à nous dérouler des présentations en PowerPoint, se heurte à un mur de vide », note Pierre Mériaux. Dans ce contexte, difficile pour les représentants syndicaux d'éviter un épuisement professionnel et psychique. « C'est la double peine, il faut à la fois réaliser son travail et faire face à la détresse du public que nous recevons et maintenant faire face à celle de nos collègues », relève Evelyne Velicitat, du Snutefe-FSU.

Dans un premier temps, le ministère du Travail a déclaré que le suicide de Luc Beal-Rainaldi semblait être motivé par des questions personnelles. Il a finalement décidé, lors d'une réunion du comité d'hygiène et de sécurité ministériel, d'ouvrir une enquête interne au titre de la prévention des risques psychosociaux afin d'analyser et de comprendre les raisons de ce geste. « Il s'agit de vérifier si les fonctions exercées par l'agent et les conditions de travail ont pu avoir un éventuel impact sur les conditions de vie », précise Luc Allaire, responsable de la direction de l'Administration générale et de la Modernisation des services (Dagemo). La commission paritaire en charge du dossier sera composée de deux représentants de la direction, deux représentants syndicaux et un expert choisi parmi les cabinets agréés pour assister les CHSCT.