Maladies professionnelles : gare à l'entourloupe !

par François Dosso militant syndical / octobre 2011

En renvoyant des déclarations de maladie professionnelle vers le système complémentaire de reconnaissance sans notifier de refus au préalable, les caisses de Sécurité sociale privent les victimes de droits. Comment contester ?

Les salariés déclarant une maladie professionnelle (MP) inscrite dans un tableau bénéficient d'un droit fondamental : la présomption d'origine. Cela signifie que, s'ils satisfont les critères du tableau de MP, ils n'ont pas à démontrer le lien entre leur pathologie et les expositions professionnelles susceptibles d'être à l'origine de celle-ci. Sauf que, depuis la création d'un système complémentaire aux tableaux, les caisses de Sécurité sociale ont développé des pratiques visant à contourner ce droit et, donc, l'esprit et la lettre du Code de la Sécurité sociale.

Prenons le cas, bien réel, de Mme Durand. Celle-ci effectue des travaux de saisie informatique de façon répétitive. Elle souffre de douleurs dans les doigts, au point d'en être réveillée la nuit. Son médecin traitant diagnostique un syndrome du canal carpien du poignet droit, inscrit dans le tableau n° 57C. Il lui délivre un certificat médical lui permettant de déclarer sa maladie professionnelle auprès de sa caisse primaire d'assurance maladie. La caisse instruit sa demande et vérifie, à partir d'un questionnaire transmis à son employeur et à elle-même, si elle a bien été exposée de manière habituelle à des travaux mentionnés sur la liste limitative du tableau n° 57C.

Plusieurs mois après sa demande, la caisse informe Mme Durand que l'instruction de son dossier est close et qu'elle a dix jours pour le consulter avant la décision définitive. Ce faisant, elle découvre que son employeur a déclaré qu'elle n'était pas exposée au risque. Ce que Mme Durand conteste auprès de l'agent de la caisse. Mais ce dernier lui explique très aimablement que " ce n'est pas grave, puisqu'il existe une sorte de commission de rattrapage, qui va réexaminer la demande ". En réalité, l'agent fait référence au système complémentaire, créé en marge des tableaux et organisé en comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP).

Perte de la présomption d'origine

Rassurée, Mme Durand ne s'inquiète donc pas lorsqu'elle reçoit quelques jours plus tard un courrier de la caisse l'informant que sa maladie professionnelle ne peut être " reconnue au titre de l'alinéa 2 " de l'article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale (voir encadré page suivante), car elle n'a pas été exposée aux travaux définis dans la liste limitative du tableau n° 57C et qu'en conséquence sa demande est transmise au C2RMP.

Comment fonctionne le système complémentaire

Le système de reconnaissance des maladies professionnelles est régi par les articles L. 461-1 à L. 461-8 du Code de la Sécurité sociale. Selon l'alinéa 2 du premier de ces articles, " est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ". Les alinéas 3, 4 et 5 définissent l'accès au système complémentaire : si les conditions du tableau ne sont pas toutes remplies, ou si la maladie ne figure pas dans un tableau, un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP) examine le dossier et rend un avis qui s'impose à la caisse. Son fonctionnement est régi par les articles D. 461-26 et suivants du Code de la Sécurité sociale.

Attention ! Le C2RMP statue sur les documents transmis par la caisse, soit bien souvent la seule demande initiale de la victime, formulée sur un imprimé Cerfa de déclaration de maladie professionnelle. La victime doit donc constituer un dossier et ne pas hésiter à transmettre au C2RMP tous les éléments démontrant le lien direct (et pour les maladies hors tableaux, le lien essentiel et direct) entre sa maladie et l'exposition professionnelle. Le recours à une association de défense des victimes ou à des défenseurs syndicaux compétents est conseillé.

Ce qu'elle ne sait pas, c'est que, devant cette instance, sa demande ne bénéficie plus de la présomption d'origine et qu'elle doit dès lors faire la preuve d'un lien direct entre son syndrome du canal carpien et ses conditions de travail. Une démonstration complexe, qui réduit les chances de reconnaissance. Ce qu'elle ne sait pas non plus, c'est que la caisse a sauté une étape et qu'elle aurait dû lui envoyer une notification de refus, mentionnant les voies de recours, avant la transmission de son dossier au C2RMP. Ce qu'elle ignore, enfin, c'est qu'elle avait tout intérêt à utiliser ces voies de recours - commission de recours amiable (CRA) de la caisse primaire, puis tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) -, car elles lui auraient permis de contester la décision de refus - non notifiée - de la caisse tout en restant dans le système des tableaux. Dans ce dernier cas, conformément à la présomption d'origine, la victime doit " uniquement " démontrer qu'elle remplit bien les conditions du tableau : être atteinte de la maladie telle qu'elle y est définie, avoir effectué les travaux de la liste indicative ou limitative, respecter le délai de prise en charge et, pour certains tableaux, la durée d'exposition. Or c'est bien sur ce terrain, celui de la preuve de l'exposition professionnelle, que la victime est la mieux armée pour contester les allégations de l'employeur, prises trop souvent pour argent comptant par les caisses primaires d'assurance maladie.

Contester le transfert

Dès réception de la notification de la caisse annonçant la transmission de son dossier au C2RMP, Mme Durand aurait donc dû la contester par un courrier recommandé avec accusé de réception. Ce courrier doit rappeler que la victime a bien été exposée au risque et qu'elle remplit toutes les conditions du tableau. Il doit demander à la caisse si elle maintient sa décision et, dans ce cas, exiger qu'elle adresse un refus de reconnaissance à la victime et qu'elle lui indique les voies de recours. Ensuite, la victime peut saisir la CRA - qui, trop souvent, confirme la décision de la caisse -, puis le Tass. Devant celui-ci, le salarié doit décrire minutieusement les conditions et circonstances de ses expositions professionnelles. Pour ce faire, il peut récupérer son dossier médical en santé au travail, recueillir des témoignages de collègues, présenter le document unique d'évaluation des risques, des fiches individuelles d'exposition ou encore des procès-verbaux de réunions de comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou de délégués du personnel où ses expositions professionnelles ont été citées.

Session de rattrapage

Mme Durand, elle, n'a pas contesté la décision de la caisse de transmettre son dossier au C2RMP, lequel a finalement rejeté sa demande. Cette demande a-t-elle été pour autant définitivement enterrée ? Non, car, conseillée par un collectif avisé, Mme Durand a quand même saisi la CRA, puis le Tass. Devant cette instance, elle a demandé " à titre principal " la reconnaissance de son syndrome du canal carpien, en démontrant qu'elle remplissait les conditions du tableau n° 57C, notamment concernant les expositions professionnelles, et que la caisse l'avait renvoyée à tort devant le C2RMP, la privant ainsi du bénéfice de la présomption d'origine. Elle a aussi demandé, " à titre subsidiaire " et " avant dire droit ", que l'avis d'un second C2RMP soit sollicité. Ce second avis est en effet obligatoire pour tout différend concernant la reconnaissance d'une maladie professionnelle n'entrant pas dans le cadre des tableaux (article R. 124-24-2 du Code de la Sécurité sociale et jurisprudence de la Cour de cassation). Le Tass, finalement convaincu par les éléments apportés par Mme Durand, a reconnu qu'elle remplissait bien les conditions du tableau n° 57C.