Malaise dans les services prévention des Cram

par Robert Mano / avril 2010

Dans les caisses régionales d'assurance maladie, les agents du réseau de prévention des risques professionnels ont le sentiment de ne plus pouvoir mener leur mission à bien. En cause : le manque de moyens et un nouveau mode de pilotage de l'activité.

Un malaise grandissant pour le personnel administratif, les cadres, les contrôleurs de sécurité et les ingénieurs-conseils. " C'est ainsi que Dominique Blin, président de l'Association nationale des contrôleurs de sécurité (ANCS), décrit le quotidien des agents du réseau de prévention des risques professionnels (voir " Repère "). Toutes les catégories professionnelles sont concernées. L'ANCS a tiré la sonnette d'alarme en octobre dernier, en écrivant une lettre ouverte au directeur des Risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS).

Repère

Le réseau de prévention des risques professionnels de la Sécurité sociale couvre les quelque 18 millions de salariés du régime général. Il regroupe 275 ingénieurs-conseils et 550 contrôleurs de sécurité, répartis dans les services prévention des 16 caisses régionales d'assurance maladie et des 4 caisses générales. Ces agents interviennent dans environ 55 000 établissements chaque année. La direction des Risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés définit la politique de prévention nationale, avec l'appui scientifique et technique de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

Pour l'ANCS, le malaise actuel des agents est lié à des évolutions récentes de leur activité, en relation avec les " nouveaux enjeux " définis pour la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de l'Assurance maladie. La convention d'objectifs et de gestion 2009-2012 signée avec l'Etat resserre en effet les contraintes. Aux actions nationales pour la prévention des cancers professionnels, des troubles musculo-squelettiques et du risque routier s'ajoutent désormais les risques psychosociaux. Depuis 2009, certains secteurs ou publics spécifiques sont également ciblés : BTP, intérim et grande distribution. L'intérêt de fixer des objectifs communs n'est pas remis en question. " L'accord sur les priorités et les grandes orientations fixées au réseau de prévention des risques professionnels est largement partagé ", commente ainsi Alain Lidonne, ingénieur-conseil en Ile-de-France et représentant CFE-CGC. Mais il n'en est pas de même concernant les moyens accordés et mis en oeuvre pour les atteindre.

Pénurie de personnel

" Dans un contexte de pénurie du personnel administratif, soumis à une règle de non-remplacement d'une personne sur deux partant à la retraite, notre charge de travail de bureau s'accroît au détriment des interventions en entreprise, témoigne un membre de l'ANCS, contrôleur de sécurité à la Caisse régionale d'assurance maladie (Cram) du Centre. En outre, les contrôleurs et ingénieurs de notre service sont eux-mêmes en nombre insuffisant en raison de nombreux départs : fins de carrière des générations nées après-guerre, mutations dans d'autres caisses régionales, voire démissions. Enfin, la surcharge de travail, facteur d'épuisement professionnel, est une cause d'absentéisme pour maladie. " Plus ou moins accentuée selon le zèle des directeurs de Cram, cette restriction des moyens se conjugue avec l'introduction de nouvelles techniques de gestion et de suivi des activités.

" Les programmes d'action de la dernière convention fixent des objectifs chiffrés à partir d'indicateurs souvent ponctuels qui servent à l'évaluation de notre activité annuelle ", précise le contrôleur de sécurité de la Cram du Centre. Pour Alain Lidonne, c'est un des points d'achoppement de la nouvelle convention d'objectifs : " Les indicateurs de pilotage retenus pour suivre l'exécution des programmes d'action, sans concertation préalable avec les agents de terrain, se polarisent sur le court terme. Ils peuvent conduire à des effets pervers, voire à des manipulations. " Comment, par exemple, réduire la sinistralité de 10 % dans les trois secteurs cibles ? Que deviennent les actions à moyen terme déjà engagées dans les entreprises mais non ciblées par des indicateurs nationaux ? Autant d'interrogations résumées ainsi par Alain Lidonne : " Nous sommes confrontés à une pléthore d'actions, à des indicateurs mal ficelés, à une absence d'évaluation de la charge de travail induite et, en conséquence, à un mal-être grandissant. "

En ce qui concerne le suivi des entreprises, ces nouveaux indicateurs de pilotage tendent à se substituer aux critères qui guidaient auparavant le programme de visite des établissements. Traditionnellement, ce programme est établi à partir des indicateurs de fréquence et de gravité des accidents du travail, lorsque ceux-ci dépassent la moyenne du secteur d'activité. En outre, les nouveaux indicateurs permettent moins qu'avant de répondre aux sollicitations émanant des salariés ou des employeurs. D'où le sentiment d'un écart grandissant entre le travail à accomplir conformément aux valeurs du paritarisme et du dialogue social et les moyens réellement mis en oeuvre, sentiment générateur de stress.

Pérenniser la richesse du métier

Pour l'ensemble des agents de la branche, les nouvelles techniques de programmation et de suivi des actions de prévention représentent une véritable mutation. Les conséquences de cette dernière sur leur santé doivent être appréhendées au regard des valeurs dont ils se réclament et, notamment, d'un vrai souci du dialogue social. C'est dans cet esprit que l'ANCS a demandé en octobre, dans sa lettre ouverte, la mise en place d'un plan d'action : " Nous demandons à pouvoir influencer ces changements afin d'anticiper leurs effets sur la santé des personnels de la branche et d'en renforcer l'efficacitéIl nous paraît à cet égard important de pérenniser la part de notre travail en entreprise et les marges d'initiative qui en font la richesse. Richesse que nous voulons aussi exploiter au travers de notre participation directe à l'ingénierie de prévention, aux actions de communication, etc. Mais il faut aussi réfléchir aux moyens de minimiser l'impact "administratif" de cette nouvelle gestion. "

Dans une perspective voisine, les contrôleurs de sécurité de Rhône-Alpes ont mis en place un collectif représentant plus de la moitié des agents. " Nous avons rencontré la direction du service prévention de la Cram pour faire part du malaise des collègues confrontés au quotidien à ces nouvelles modalités de fonctionnement et d'évaluation de notre activité, explique Olivier Tompa, secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et lui-même contrôleur. Il est également prévu, lors d'une réunion plénière rassemblant l'ensemble des contrôleurs de sécurité et ingénieurs-conseils, de consacrer un temps aux échanges libres. "

A la Cnam-TS, on se veut à l'écoute de ces inquiétudes. Le 17 mars, une réunion a été organisée avec l'ANCS, les associations d'ingénieurs-conseils et des directeurs de Cram. Le directeur des Risques professionnels, Stéphane Seiller, se montre rassurant. " D'abord, je veux rappeler que les services prévention des Cram ont bénéficié d'un taux de remplacement du personnel de un pour un, contrairement à ce qui se passe dans les autres activités de la Sécurité sociale ", justifie-t-il. S'il estime que le programme de la branche a été le fruit d'une élaboration collective, avec des experts du réseau, il reconnaît aussi qu'à l'avenir, il va falloir associer davantage les contrôleurs de terrain, " parce que ce sont eux qui sont en contact direct avec les entreprises ". Quant à la " culture de résultat ", Stéphane Seiller veut minimiser l'utilisation des indicateurs : " L'important, ce sont les objectifs à trois ans, comme par exemple celui de soustraire 100 000 salariés au risque cancérogène, mutagène et reprotoxique. Et pour cela, j'ai besoin de tout le savoir-faire des agents, qui savent comment sensibiliser les entreprises. " Reste à savoir si ce sera suffisant.