La marche arrière risquée de l'Europe

par Luc Peillon / avril 2009

Directeur du département santé et sécurité de l'Institut syndical européen, Laurent Vogel dénonce les brèches ouvertes par la Commission dans le dispositif d'interdiction de l'amiante.

Au moment où l'Afsset propose de durcir les règles relatives à la prévention contre l'amiante, les institutions internationales, et notamment l'Europe, semblent faire marche arrière. Comment est-il possible, dix ans après l'interdiction de l'amiante au sein de l'Union, que la fibre puisse être encore présente sur le marché ?

Laurent Vogel : En 1999, l'Union européenne décide d'interdire l'amiante au 1er janvier 2005, tout en accordant un délai de trois ans aux industriels recourant à l'électrolyse. Ces dérogations, suivant la directive, ne pouvaient être supprimées qu'à la suite d'un rapport élaboré par la Commission européenne. Une simple formalité, en principe, car dès cette époque des alternatives existaient pour produire du chlore ou de l'hydrogène sans amiante. Mais ce dispositif a été détourné par la Commission. Huit ans après l'interdiction, alors que la quasi-totalité des industriels avait adopté des procédés de substitution à l'amiante, seules les multinationales Dow Chemical et Solvay pour la production de chlore en Allemagne, ainsi que quatre autres entreprises en Bulgarie, Pologne et Suède, se refusaient à adopter un processus de production sans amiante. Et comme par hasard, ce sont leurs arguments qu'on a retrouvés dans le fameux rapport élaboré en 2007 par la Commission, expliquant qu'il était impossible de changer de technologie. La Commission souhaite désormais que ces dérogations soient maintenues sans limite de temps. Elle a aussi introduit une deuxième faille dans le dispositif d'interdiction, en permettant aux Etats membres d'autoriser la mise sur le marché d'articles contenant de l'amiante, s'ils ont été fabriqués avant le 1er janvier 2005.

Ces deux décisions de la Commission sont-elles juridiquement définitives ?

L. V. : Ces deux dérogations, qui figurent dans l'annexe 17 du règlement européen Reach sur les produits chimiques, ont été adoptées le 20 février dernier par une majorité d'Etats membres. Le seul recours possible, désormais, est celui du Parlement européen, qui dispose de six mois pour s'opposer au texte. Mais sa saisine n'a rien d'automatique. En cas de rejet par les parlementaires, la Commission devra faire une nouvelle proposition. Sur un plan plus politique, ces deux exceptions sont surtout incohérentes par rapport à l'engagement de l'Union de lutter contre l'amiante dans le monde. Comment, en effet, demander aux Canadiens de cesser de produire de l'amiante si nous, Européens, continuons à en acheter ? Ce n'est pas par hasard, d'ailleurs, si ceux-ci viennent de se réjouir de la décision de la Commission. Pour la France, en revanche, cette dérogation ne devrait rien changer sur un plan pratique, car l'interdiction dans ce pays est totale.

L'autre sujet d'inquiétude, au plan international, concerne la convention de Rotterdam...

L. V. : Ce texte impose à toute entreprise qui veut exporter un produit listé comme dangereux dans la convention d'informer et d'obtenir l'accord du pays destinataire. En octobre 2008, lors d'une réunion à Rome, plusieurs pays membres de la convention, comme l'Inde, le Pakistan ou le Vietnam, se sont opposés à ce que l'amiante chrysotile (95 % du marché mondial) soit inscrit sur la liste des produits soumis à cette procédure. L'inscription sur cette liste nécessitant l'unanimité, elle a donc été repoussée. Au plan international, cette décision est plus préoccupante pour les pays dits "émergents", dont le marché est en pleine croissance, que pour les pays développés, où la consommation d'amiante est en baisse, y compris aux Etats-Unis où la fibre n'est pas interdite.