Marché de DUP !

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© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE © NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
François Desriaux rédacteur en chef
/ avril 2015

Le CHSCT va-t-il finir en martyr de la baisse du coût du travail, sacrifié sur l'autel de la simplification de la vie des entreprises ? C'est bien parti pour. Après l'échec des négociations interprofessionnelles sur la modernisation du dialogue social, en janvier, échec dû principalement au mauvais sort réservé au CHSCT par le Medef, le Premier ministre a revisité la copie inachevée des partenaires sociaux. En donnant des gages aux uns et aux autres, Manuel Valls a réussi le tour de force de préserver l'essentiel de ce que souhaitaient le patronat, le gouvernement et la majorité parlementaire acquise à la cause de la nécessaire refonte des seuils sociaux. En annonçant l'extension de la délégation unique du personnel (DUP) aux entreprises de moins de 300 salariés, d'une part, et au CHSCT1 , d'autre part, il va dans le sens souhaité par le Medef. En précisant que les compétences du CHSCT seraient conservées et récupérées par la DUP, notamment le pouvoir d'ester en justice ou de nommer des experts indépendants, il a rassuré les syndicats

La manoeuvre est habile. Mais du point de vue de la santé au travail et de la participation des salariés à la prévention des TMS, des risques psychosociaux ou encore de la pénibilité, c'est une très mauvaise nouvelle. A l'heure où l'intensification du travail, la précarité et la multiplication de contraintes insupportables pour les salariés vieillissants imposeraient de renforcer l'instance de représentation du personnel (IRP) dédiée à ces questions, à savoir le CHSCT, le gouvernement s'apprête à la supprimer dans les trois quarts des entreprises. Déjà, on peut craindre, au vu de la composition des DUP actuelles, que la future délégation unique comptera moins d'élus, avec moins d'heures de délégation que n'en totalisent les différentes IRP. Dès lors, compte tenu de la multiplicité des sujets à traiter, tous les bons connaisseurs du sujet redoutent que la santé au travail ne passe au second plan des préoccupations des élus, après l'emploi, les salaires ou les colonies de vacances...

Mais, après tout, n'est-ce pas là le but recherché ? Bête noire d'une partie du patronat avec ses capacités d'expertise, ses avis qui peuvent devenir autant d'armes judiciaires, son pouvoir renforcé par l'obligation de sécurité de résultat, le CHSCT donne du fil à retordre à ceux qui ne conçoivent le dialogue social que comme une obligation qui coûte cher et fait perdre du temps. Il y a une dynamique CHSCT. Depuis quelques années, cette instance a le vent en poupe, est capable d'équilibrer le rapport de force social autour d'une dimension : le travail réel et les conditions dans lesquelles les salariés l'effectuent. C'est cette dynamique qui peut changer le dialogue social dans l'entreprise en transformant le travail. Peut-être même changer l'entreprise. Et c'est cette dynamique que le gouvernement s'apprête à enrayer.

"J'aime l'entreprise", avait scandé Manuel Valls à la dernière université d'été du Medef. Sans doute a-t-il médité l'aphorisme selon lequel "il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour". Il vient d'en donner une belle en offrant "la tête" des CHSCT sur un plateau. Et c'est à la frange la plus rétrograde du patronat !

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    Actuellement, la DUP ne s'applique qu'aux entreprises de moins de 200 salariés et ne regroupe que les fonctions du comité d'entreprise et des délégués du personnel