© Adobe Stock
© Adobe Stock

Une médecin au chevet des droits humains

par Nathalie Quéruel / janvier 2021

Auteure d’un ouvrage dénonçant la déshumanisation des conditions de travail et de l’accueil des malades à l’hôpital, aujourd’hui médecin généraliste, Sabrina Ali Benali continue de défendre une pratique soucieuse de la dignité et des droits des patients.

Le prix qu’elle a reçu le 6 octobre dernier pour son livre paru en 2018, La révolte d’une interne. Santé, hôpital : état d’urgence, aura apporté un surcroît d’énergie à Sabrina Ali Benali. Ce prix, décerné par Le toit citoyen, association œuvrant pour les CSE, récompensait le meilleur ouvrage sur le monde du travail. « Au-delà de la reconnaissance de mon action militante, le recevoir des mains de Jean Auroux, aux côtés d’Alain Supiot, deux grands hommes du camp progressiste, m’a donné le sentiment d’appartenir à cette famille intellectuelle qui défend les droits humains », raconte cette femme médecin de 35 ans, aujourd’hui généraliste remplaçante aux Urgences médicales de Paris1 .
Son travail la fait arpenter trois nuits par semaine les quartiers populaires de l’Est de la capitale. Elle y trouve un peu de l’adrénaline qui fait le sel des urgences à l’hôpital, où elle a réalisé une partie de son internat jusqu’en 2018 : « Il faut mettre en jeu toutes ses compétences pour un diagnostic rapide pouvant sauver une vie. » Avec une dimension sociale qui n’est pas pour lui déplaire : « Au domicile des patients, on appréhende différemment la maladie parce que l’on voit leurs conditions de vie. »

L’empathie comme moteur

Elle s’étonne pourtant quand les gens la remercient de sa gentillesse : prendre le temps avec les malades fait partie de sa conception du soin. Une attitude dont témoigne le Dr Fabrice Attali, gérant des Urgences médicales de Paris : « Sabrina est très investie dans son métier. Elle embarque avec elle la souffrance, somatique ou sociale, des patients. Ses convictions orientent sa pratique. » Trop d’empathie ? L’intéressée dit ne pas pouvoir faire autrement : « Entrer dans l’intimité d’une personne demande d’entourer cet acte du plus de patience et d’amour possibles. »
Au sein de l’hôpital public, rendu exsangue par la gestion libérale, il lui était impossible d’exercer cette médecine-là, alors qu’elle rêvait d’y faire une carrière d’urgentiste. Sabrina Ali Benali le clame avec force : « La honte doit changer de camp. » Cette honte qu’elle a ressentie, lorsque « le soin devient maltraitant » à cause de la pression, du rythme effréné, des défaillances causées par l’absence de moyens, et que les pouvoirs publics devraient afficher, au vu de leurs décisions.
C’est ce qui l’a poussée, alors interne, à interpeller en janvier 2017 sur Facebook la ministre de la Santé de l’époque, qui venait d’exiger que les établissements de santé s’organisent mieux, en reportant notamment des opérations non urgentes, pour faire face à une épidémie de grippe. Une vidéo vue 11 millions de fois, intitulée « Mais c’est tous les jours l’état d’urgence à l’hôpital, Mme Touraine », qui l’a propulsée dans l’arène médiatique. Trois ans plus tard, elle s’indigne encore, lorsqu’elle entend répéter que l’hôpital a tenu le coup face au coronavirus : « On ne pas peut dire cela, quand des chirurgies ont été déprogrammées, des cancers n’ont pas été soignés pour limiter la casse du Covid-19. »

« Réparer les injustices »

« Devenir médecin est inscrit en moi depuis l’enfance », écrit la jeune femme, née à Toulouse, dans une famille binationale – un père ingénieur, venu d’Algérie, et une mère entrepreneuse. Précisément depuis l’âge de 8 ans, à la suite d’une longue hospitalisation pour un rein fracturé. Le décès de son père, lorsqu’elle a 12 ans, constitue un choc terrible qui confirme son choix : « Avec la médecine, je pouvais essayer de réparer quelques injustices. » Mais ses études, à Limoges puis à Paris, sont loin d’être une promenade de santé. La mort d’une fillette de 8 ans, lors de son stage d’externat en cardiopédiatrie, la plonge dans une dépression qui lui fait rater sa 4e année. « J’étais comme un fantôme dans l’hôpital ; personne ne se préoccupait de mon état. Dans notre cursus, rien ne nous prépare à ces situations », raconte-t-elle. C’est pourquoi elle plaide pour introduire dans la formation médicale une part de sciences humaines, indispensables à ses yeux dans un métier où la relation à autrui est essentielle.
Ces études éreintantes ne l’empêcheront pas de s’impliquer sur d’autres fronts. Sa famille n’est pas militante mais son grand-père maternel, ébéniste, était syndicaliste. Elle s’investit d’abord dans l’association Les enfants de Don Quichotte, aux côtés des sans-logis. Elle adhère au Parti de gauche, dont elle préside la commission santé pendant un an, avant de rendre sa carte, préférant l’engagement citoyen. Les réseaux sociaux lui offrent un autre terrain d’expression. Ses coups de gueule ont retenu l’attention de Gilles Perret, réalisateur de documentaires, dont La sociale sur la création de la Sécurité sociale. En 2017, il l’invite à faire part de son expérience lors d’un rassemblement annuel, organisé par une association qu’il a cofondée, Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui : « Son discours, fort et sensible, nous a beaucoup émus, relate-t-il. Elle pratique un militantisme à hauteur de femme, qui n’est pas idéologique car, de par son métier et ses engagements, elle rencontre plein de gens différents. »
Le sujet de sa thèse, qu’elle soutiendra prochainement, la résume tout aussi bien, puisqu’elle a créé un outil pour les médecins afin que le psychotraumatisme des femmes victimes de violences soit mieux pris en charge. Le combat politique contre les injustices ne lui fait pas oublier qu’elle est avant tout à sa place quand elle soigne, « heureuse, un stéthoscope autour du cou ».

  • 1Société civile de moyens, regroupant des généralistes libéraux.
A LIRE
  • La révolte d’une interne. Santé, hôpital : état d’urgence, par Sabrina Ali Benali, Le Cherche-midi, octobre 2018.