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Les médecins du travail, déjà débordés, peineront à vacciner

par Stéphane Béchaux / 09 mars 2021

Les médecins du travail sont invités à participer à la campagne de vaccination contre le Covid-19. Une initiative accueillie favorablement par ces professionnels, mais dont les conditions de mises en œuvre et l’efficacité posent question.

Voilà une mesure largement passée sous les radars ! Le 2 décembre dernier, Emmanuel Macron et Jean Castex cosignaient une ordonnance visant à adapter « les conditions d’exercices des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire ». Un texte court qui, dans son premier article, ordonnait à ceux-ci de participer aux « actions de dépistage et de vaccination définies par l’Etat ». Faute de doses à injecter, il ne s’était depuis lors pas passé grand-chose. Mais l’arrivée en nombre croissant de flacons siglés AstraZeneca est en train de changer la donne.

Volontaires mais prudents

Depuis le 25 février, les médecins du travail peuvent prendre part à la campagne de vaccination contre le covid-19. A condition, bien sûr, de respecter la stratégie définie par les pouvoirs publics. Leur cible actuelle ? Les salariés de plus de 50 ans atteints de comorbidités. Sur le principe, cette contribution à l’effort collectif reçoit un accueil favorable. « A l’exception de quelques-uns, qui considèrent cette mission hors du champ de la santé au travail, la plupart des médecins se disent prêts à y participer », affirme Gérard Lucas, président du Conseil national professionnel de la médecine du travail. « On est en état d’urgence sanitaire, le pays a besoin de bras pour vacciner. Il est d’autant plus normal qu’on participe que nous sommes impliqués dans la gestion de la crise depuis le début », abonde Martial Brun, directeur général de Présanse, organisme représentant les services de santé au travail interentreprises.
Cette bonne volonté n’interdit pas la prudence du côté des médecins du travail. En sous-effectif chronique, ils peinent déjà à déployer de vraies politiques de santé au travail auprès des salariés et de leurs employeurs. La fameuse ordonnance du 2 décembre ne s’y trompe d’ailleurs pas, puisqu’elle autorise le report des visites médicales. Certains craignent que cette nouvelle tâche de vaccination vienne faire obstacle à d’autres, plus centrales pour la santé au travail. « Participer à l’effort collectif, c’est une bonne chose. Mais à condition que cela n’empiète pas trop sur nos autres missions. La vaccination ne peut devenir l’activité numéro un », assène Mélissa Menetrier1 , secrétaire générale adjointe du Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST).

Des obstacles multiples

Pour l’instant, le risque s’avère assez théorique. Et devrait le rester. Car la France manque davantage de doses de vaccins que de vaccinateurs. De surcroît, si les pharmaciens viennent grossir les rangs des professionnels autorisés à pratiquer les injections, comme le recommande désormais la Haute Autorité de santé (HAS). « Disperser les rares flacons chez un nombre croissant de vaccinateurs, ça n’est pas gage d’efficacité. En ce domaine, la plus-value des médecins du travail me semble minime », affirme Gérard Lucas. En outre, le dispositif pose quelques problèmes du point de vue logistique. « Le dispositif a été conçu pour la médecine de ville, pas pour les services de santé au travail. Notre enjeu, c’est de pouvoir nous approvisionner de façon plus collective », précise Martial Brun.
Les médecins du travail doivent par ailleurs gérer la très délicate question du secret médical. Le traitement étant pour l’instant réservé aux seuls salariés atteints de comorbidité, garantir leur anonymat s’avère primordial. Pas simple du tout, que l’espace médical soit situé dans ou hors de l’entreprise. Pour gérer cette complexité, les services de santé au travail peuvent s’appuyer sur le protocole que la direction générale du Travail leur a transmis le 16 février. « Il n’est pas envisageable de contacter les salariés repérés comme vulnérables (…) au moyen d’une convocation individuelle transmise sous couvert du chef d’entreprise, ceci ayant pour effet de signaler à l’employeur une information confidentielle concernant la santé du salarié en question », peut-on y lire.

Un avant-goût de la réforme en cours ?

Un ciblage inapproprié qui serait aussi très incomplet : les médecins du travail ont souvent une vision parcellaire de l’état de santé des salariés qu’ils suivent. Parce qu’ils les voient peu et que beaucoup de travailleurs taisent leurs pathologies, de peur de perdre leur emploi. Des affections dont les médecins traitants ont, eux, connaissance… Ces multiples obstacles semblent de nature à limiter l’apport des services de santé au travail dans la campagne vaccinale hexagonale.
Mais leur participation s’inscrit dans une ambition gouvernementale plus large, celle de faire contribuer les médecins du travail aux actions de santé publique. Une évolution qui figure dans la proposition de loi déposée par les députées LREM Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, en discussion au Parlement et visant à transposer l’accord national interprofessionnel conclu en décembre sur la santé au travail. « On vit une crise sanitaire très particulière, qui justifie que tout le monde mette la main à la pâte. Mais il doit s’agir d’un effort ponctuel pour nous médecins du travail, il ne faut pas que cela devienne une habitude », insiste Mélissa Menetrier. Pas sûr que le gouvernement l’entende de cette oreille.

  • 1Mélissa Menetrier est aussi membre du comité de rédaction de Santé & Travail.