Ménagez-vous !

par François Desriaux rédacteur en chef / octobre 2010

Qu'il est loin, le temps de la défense de la valeur travail ! La réforme des retraites proposée par le président de la République signe son renoncement définitif à cette promesse de campagne. Trois occasions au moins auront été manquées pour promouvoir " la France qui se lève tôt ", celle qui a commencé à travailler jeune, qui a connu les conditions de travail les plus dures et qui va faire les frais du recul de l'âge de départ en retraite...

Tout d'abord, cette réforme était l'occasion d'amorcer un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée entre capital et travail. Car, au fond, n'est-ce pas la crise des subprime qui en a précipité l'urgence ? Or, alors qu'aujourd'hui le monde de la finance renoue avec ses pratiques et profits scandaleux, après avoir évité le naufrage grâce à l'argent public, il n'était pas inopportun de mettre davantage à contribution le capital et les hauts revenus pour financer le trou de la protection sociale engendré par la crise.

Ensuite, la réforme des retraites aurait pu permettre de rétablir un peu d'équité entre les catégories socioprofessionnelles en considérant les effets du travail sur l'espérance de vie. A l'heure où nous rédigeons ces lignes, ce n'est pas le chemin qui est pris avec le volet pénibilité. Quel que soit le taux d'incapacité permanente partielle finalement retenu comme ouvrant droit à un départ à 60 ans, le système proposé ne concerne que les malades du travail. Exit ceux, nombreux, qui ont été exposés au travail de nuit, aux toxiques cancérogènes et qui risquent de mourir plus tôt, sans signe pathologique apparent au moment du départ en retraite. Ce n'est pas juste, d'autant que, contrairement à ce qu'avancent le gouvernement et sa majorité, il est possible techniquement de prendre en compte de façon équitable et fiable ces expositions.

Enfin, si une majorité de Français se montrent hostiles à cette réforme, ce n'est pas parce qu'ils ont un poil dans la main plus long que celui de leurs collègues européens, mais parce qu'ils craignent par-dessus tout de faire les frais d'un marché de dupes. Ils n'imaginent pas que, une fois la réforme votée, les entreprises deviendront subitement plus vertueuses à l'égard des salariés vieillissants, malades ou aux capacités diminuées par un handicap. Et ils ne se voient pas non plus supporter jusqu'à 62 ou 67 ans des conditions et des contraintes de travail que déjà, à 42 ou 52 ans, ils vivent souvent très mal. Or, de ce point de vue, aucun effort significatif n'est prévu dans la réforme pour aider et obliger les entreprises à maintenir dans un emploi soutenable pour leur santé les salariés " usés ", physiquement ou psychologiquement.

Alors, une fois les banderoles rangées, si le projet actuel a surmonté l'épreuve de la rue, il ne restera qu'un seul mot d'ordre : " Salariés, ménagez-vous pour tenir jusqu'à la retraite ! " Individuellement, ce conseil risque d'être vain, mais, collectivement, il devrait constituer la pierre angulaire de l'action des préventeurs. Alors que l'état de santé des travailleurs français dans la tranche d'âge des 50-59 ans se situe parmi les plus mauvais d'Europe1 , les contraintes de travail qui pèsent sur les champions du monde de la productivité horaire sont une menace pour leur employabilité. L'amélioration des conditions de travail doit s'imposer.

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    " La santé des travailleurs âgés en Europe ", par Nicolas Sirven et Catherine Sermet, Retraite et société n° 59, août 2010.