Métiers du bois : la prévention mord la poussière

par Luc Peillon / juillet 2009

La campagne de contrôle menée sur les expositions aux poussières de bois a donné des résultats préoccupants. En effet, la prévention de la deuxième cause de cancers professionnels pénètre difficilement dans les scieries, fabriques de meubles ou chantiers du BTP.

Un constat " préoccupant ". C'est le terme choisi par le ministère du Travail, dans un communiqué du 31 mars dernier, pour qualifier les résultats de la campagne nationale de prévention du risque cancérogène lié aux poussières de bois (voir " Repère "). Au cours de cette opération de contrôle et de sensibilisation menée en 2008, 3 105 établissements ont été visités par l'Inspection du travail et les services de prévention des caisses régionales d'assurance maladie. Les auteurs de l'enquête considèrent que " la réglementation relative à la prévention du risque cancérogène des poussières de bois est insuffisamment appliquée ". Un euphémisme, tant les résultats font état d'un fossé entre les dispositions en vigueur et la réalité de leur mise en oeuvre.

Première carence relevée : le document unique d'évaluation des risques professionnels n'a été établi que dans 66 % des établissements visités. Et quand il existe, le risque cancérogène lié aux poussières de bois n'est mentionné que dans la moitié des cas : au total, seuls 34 % des établissements en font état. Quant à la formation des salariés à ce type de risque, elle n'a été dispensée que dans 18,6 % des établissements. Plus grave, le contrôle de la valeur limite d'exposition professionnelle1 (VLEP), établie à 1 mg/m3, n'a été effectué que dans 14,5 % des cas, et très souvent (43 %) sans recourir à un organisme agréé. En définitive, seuls 8,2 % des établissements ont contrôlé la VLEP de façon conforme à la réglementation. Et lorsque ce contrôle est réalisé, il révèle, dans 60 % des cas, " au moins un dépassement " de la valeur limite.

" Tirer toutes les conséquences "

" Ces résultats nous interpellent, en particulier sur l'évaluation des risques, reconnaît Dominique Lamy, du bureau de la protection de la santé en milieu de travail, au sein du ministère. Ils sont en revanche plus encourageants concernant l'agencement des lieux de travail, organisés pour limiter les expositions. " Seuls points positifs, en effet, la disposition des locaux et les systèmes de filtration. Près de 60 % des établissements ont organisé leurs lieux de travail de façon à réduire l'exposition aux poussières de bois ; 85,6 % d'entre eux ont installé un dispositif de captage centralisé des poussières pour les machines fixes (19,2 % pour les machines portatives).

Le ministère du Travail tempère cependant les données recueillies, qui " recouvrent des situations très contrastées ". Le taux d'application de la réglementation augmente ainsi avec la taille de l'établissement, mais aussi en fonction de l'existence ou non d'une visite antérieure. Le contrôle de la VLEP, par exemple, a été fait dans 43,6 % des établissements de plus de 50 salariés, mais dans seulement 8,5 % de ceux comptant de 1 à 10 salariés. Il n'a également été réalisé que dans 6,3 % des établissements visités pour la première fois, contre 25,5 % lorsqu'une première intervention a déjà eu lieu.

De cette campagne, le ministère du Travail " est en train de tirer toutes les conséquences ", affirme Frédéric Tézé, du bureau de la protection de la santé en milieu de travail. Parmi les pistes envisagées figurent le renforcement des contrôles, mais aussi la sensibilisation des entreprises, par le biais de conventions passées avec les organisations professionnelles, comme ce fut le cas à la suite de la dernière opération du même type, il y a trois ans, sur l'ensemble des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR).

Car cette opération sur les poussières de bois fait suite à plusieurs autres campagnes conduites ces dernières années. Avec, là aussi, de mauvais résultats. A l'été 2006, 1 238 établissements utilisant ou ayant utilisé des CMR avaient été contrôlés. Parmi les 900 recourant encore à ces produits, 76 % avaient établi un document unique, mais seulement la moitié mentionnait ce risque. A l'automne de la même année, la campagne avait porté sur 936 chantiers de désamiantage (après deux premières opérations, en 2004 et 2005). Dans les trois quarts des cas, des anomalies avaient été relevées, dont 15 % d'infractions graves sur les chantiers de retrait d'amiante friable.

" Toutes les essences sont toxiques "

" La réglementation ne cesse de se renforcer depuis dix ans, et la sensibilisation auprès des employeurs progresse, estime Frédéric Tézé. Mais l'application sur le terrain s'avère d'autant plus difficile que l'entreprise est de petite taille. " Quant aux risques liés aux poussières de bois, la difficulté réside dans la nature même de l'activité : " La prévention dans les entreprises concernées, bâtiment ou scieries, s'est longtemps focalisée sur le risque accident. Le risque toxique, invisible et différé dans le temps, est plus difficile à faire passer dans les esprits. "

Un risque qui demeure pourtant bien réel. De l'allergie cutanée au cancer naso-sinusien, en passant par les lésions pulmonaires, les particules de bois inférieures à 100 microns peuvent provoquer de nombreuses pathologies parmi les 300 000 salariés exposés à ce risque en France, dans les scieries, les fabriques de meubles, la construction navale ou encore le secteur du BTP. Et tous les bois sont concernés. " Le débat sur la dangerosité variable des différents bois n'est plus d'actualité, estime Raymond Vincent, de l'Institut national de recherche et de sécurité. Toutes les essences sont toxiques, même s'il n'est pas impossible que le cèdre rouge le soit plus que les autres. " Problème, enfin, pour ce type de risque : il n'est pas possible, contrairement aux autres CMR, d'appliquer le principe de substitution. Seules les limitations d'émissions et les protections collectives et individuelles permettent de s'en protéger.

 

" Utiliser davantage les mesures coercitives "
Luc Peillon

Les résultats de la campagne relative aux poussières de bois traduisent-ils un manque de fermeté de la part de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale ?

Ces campagnes de contrôle n'ont pas pour objectif de sanctionner les entreprises, mais de dresser un état des lieux de la prévention et du respect de la réglementation. En dehors de ces campagnes, près de 55 000 entreprises reçoivent chaque année la visite d'un contrôleur des caisses régionales d'assurance maladie [Cram, NDLR]. Celles-ci vont ainsi intervenir sur les expositions aux produits CMR1 dans 10 000 entreprises entre 2009 et 2012. Cela concerne 100 000 salariés exposés. Dans certains cas, la Cram peut aider l'entreprise par une incitation " positive ", notamment par des subventions ou par la baisse des cotisations AT-MP. Elle peut aussi agir de façon coercitive, par des injonctions conduisant, dans la moitié des cas, à des augmentations de cotisations. Le recours à l'ensemble de ces outils représente moins de 3 000 dossiers par an, dont un tiers seulement concernent des injonctions.

C'est donc finalement assez peu, notamment pour les mises en demeure...

Les Cram, en effet, utilisent peu ces instruments, notamment l'injonction, alors qu'elle est assez efficace. Désormais, et pendant quatre ans, l'utilisation des mesures incitatives ou coercitives devra progresser de 8 à 12 % par an selon les régions. Nous travaillons aussi avec les partenaires sociaux afin de réformer la procédure de majoration des cotisations des entreprises, suite à un constat de carence, pour qu'elle soit plus efficace.

  • 1

    Cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques.

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    Pour un agent toxique donné, concentration maximale dans l'air qu'un travailleur peut respirer pendant un temps déterminé sans risque pour sa santé.