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« Mieux comprendre les situations des salariés en amont des inaptitudes »

entretien avec Catherine Levrat-Pinatel, chargée de mission à l’Association régionale pour l'amélioration des conditions de travail (Aract) Occitanie
par Corinne Renou-Nativel François Desriaux / 27 septembre 2021

Une étude expérimentale menée sur plus d’un million de salariés en Occitanie a permis de dresser un portrait-robot des inaptitudes. Catherine Levrat-Pinatel, chargée de mission à l’Aract Occitanie, en précise les résultats et l’intérêt pour la prévention de la désinsertion professionnelle.

Comment est né le projet expérimental Inaptitudes en Occitanie, diagnostics et analyses (Ioda) ?
Catherine Levrat-Pinatel : Le comité régional d’orientation des conditions de travail (Croct) et ses partenaires sociaux ont été surpris que l’on ne connaisse pas le nombre de décisions d’inaptitudes en Occitanie et que l’on n’ait pas davantage de précisions sur les métiers les plus touchés, les secteurs d’activité les plus concernés, les circonstances dans lesquelles les salariés deviennent inaptes. Pour combler ces lacunes, le Croct, accompagné de plusieurs partenaires (voir encadré), et les services interentreprises de santé au travail se sont engagés dans le projet Ioda. Il vise à recueillir et caractériser les inaptitudes du point de vue de l’âge, de l’ancienneté, du genre, de la catégorie socioprofessionnelle, des pathologies en cause, des métiers et des branches d’activité.

Comment avez-vous procédé ?
C. L.-P. : Vingt-trois des vingt-sept services de santé au travail occitans se sont mobilisés pour recueillir les données de plus d’un million de salariés sur une année entière, ce qui nous a permis d’analyser les caractéristiques de 8 366 salariés déclarés inaptes. L’objectif est d’outiller ces services sur le profil des inaptitudes au sein de leur territoire. Il est aussi d’alimenter la réflexion au niveau régional afin de construire le futur plan régional santé travail, le 4e du nom (PRST4), en matière de prévention de la désinsertion professionnelle. La décision politique de poursuivre le projet Ioda, actée lors de la Journée de la prévention de la désinsertion professionnelle, organisée à Carcassonne le 21 septembre dernier, va permettre d’intégrer les salariés des services autonomes, du secteur agricole et de la fonction publique, qui n’avaient pas participé.

Quels sont les principaux résultats de Ioda ?
C. L.-P. : L’âge moyen des salariés déclarés inaptes est de 40 ans, ce qui est quand même très jeune et doit inciter les préventeurs à agir le plus en amont possible. Surtout si les salariés doivent travailler plus longtemps avec le recul de l’âge de la retraite. En majorité, il s’agit d’hommes (54,6 %), d’ouvriers et d’employés (61,3 %), qui travaillent dans des établissements de moins de dix salariés (23,9 %). Ce dernier chiffre s’explique en partie par le fait que les services de santé au travail autonomes des grandes entreprises ne faisaient pas partie de l’échantillon. Les salariés du commerce représentent la part la plus importante des personnes inaptes, en particulier dans les commerces de détail alimentaires.
Les deux familles de pathologies les plus fréquentes sont les maladies de l’appareil locomoteur (lombalgies, sciatalgies, cruralgies, puis les troubles musculosquelettiques des épaules et des membres inférieurs), ainsi que les troubles mentaux et du comportement, notamment les troubles dépressifs. Concernant les maladies de l’appareil locomoteur, les femmes sont plus concernées ; le risque augmente avec l’âge et certains métiers sont particulièrement impactés : ambulanciers, aides à domicile et aides ménagères, ouvriers de production agroalimentaire.

Des pistes d’action se sont-elles dégagées à partir de ces résultats ?            
C. L.-P. : Un système de surveillance comme Ioda permet de partager des éléments de diagnostic entre les acteurs du PRST4 et ceux du plan régional d’insertion des travailleurs handicapés (PRITH). Ce n’est pas rien, tant ces deux mondes étaient jusqu’alors assez cloisonnés. Ils doivent pouvoir mieux coopérer pour traiter des cas individuels et pour mettre en place une politique de prévention primaire collective. Les résultats de Ioda vont permettre de cibler l’action, dans le cadre du PRST4, sur des secteurs prioritaires, comme celui du sanitaire et social, ainsi que sur certaines populations, comme les seniors et certains métiers.
Aujourd’hui, Ioda examine uniquement les inaptitudes, c’est-à-dire la partie émergée de l’iceberg des problématiques de santé des salariés. Il ressort de notre séminaire régional que nous devons à l’avenir mieux comprendre les situations des salariés en amont de l’inaptitude, en intégrant les données liées aux aménagements de poste préconisés par les médecins du travail.

Le projet Ioda
Corinne Renou-Nativel François Desriaux

Copilotée par Santé publique France et des médecins inspecteurs de la direction régionale de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (Dreets, qui remplace la Direccte), la Commission épidémiologie en Occitanie a engagé le projet Inaptitudes en Occitanie, diagnostics et analyses (Ioda). Le Fonds pour l’amélioration des conditions de travail (Fact), géré par l’Agence nationale du même nom (Anact), a soutenu ce projet expérimental, mis en œuvre par le Centre régional d'études, d'actions et d'informations-Observatoire régional de la santé Occitanie (Creai-ORS).