© Christophe Boulze/Mutualité française
© Christophe Boulze/Mutualité française

Militante de la santé au travail

par Nathalie Quéruel / avril 2021

Depuis son premier livre dédié à l’exercice de son métier, médecin du travail, et aux dégâts de certains modèles managériaux, Marielle Dumortier a continué à défendre sa profession et la santé des salariés. Un combat au cœur de son dernier ouvrage.

Cette fois, elle a pris la plume sous son vrai nom. A visage découvert, la Dre Marielle Dumortier témoigne que Le monde du travail est devenu fou ! C’est le titre de son dernier livre, qui puise dans son vécu de médecin du travail, métier qu’elle exerce depuis trente-cinq ans dans un des plus gros services de santé de la région parisienne, l’ACMS. Il se nourrit aussi de la consultation de souffrance au travail qu’elle assure depuis 2010 à l’hôpital intercommunal de Créteil (Val-de-Marne).
Quinze ans séparent cet ouvrage de son premier livre : Journal d’un médecin du travail. Sous le pseudonyme de Dorothée Ramaut, elle y relatait le quotidien des salariés d’un hypermarché, broyés par un mode de gestion impitoyable, dans une chronique s’étalant de 2000 à 2006. La notion de harcèlement moral occupait alors le devant de la scène médiatique. « Les médecins du travail ne prenaient pas la parole sur le sujet, se souvient Marielle Dumortier. Mais je ne voulais pas être dans une posture de dénonciation, ni faire un livre thérapie. »

Retours de bâton

Les employés de la grande surface n’étaient pas les seuls en danger, leur médecin prenait aussi des risques. Parce qu’elle faisait son métier, tenait tête à la direction de l’entreprise. Les retours de bâton étaient puissants, au point qu’elle a songé à tout abandonner. « Son positionnement éthique était courageux », raconte le Dr Nicolas Sandret, pilier de la consultation de souffrance au travail de Créteil, qui la rencontre à l’époque – elle lui envoyait « ses » salariés au bout du rouleau. Il lui propose alors d’intégrer le groupe de réflexion, mis en place avec la direction régionale du Travail, sur le harcèlement moral. « Marielle a forgé son rapport au travail à travers les problèmes avec cette entreprise. Elle n’est l’instrument de personne », précise Nicolas Sandret.
Laisser tomber cette profession, qui n’était pourtant pas un rêve de jeunesse, lui aurait coûté. Née ch’timi, à Hénin-Beaumont (Pas-de- Calais), Marielle Dumortier a vécu en Algérie et en Allemagne, au gré des affectations de son père gendarme. Elle aurait voulu être professeure de lettres mais les bons élèves suivaient la voie scientifique : pour elle, ce sera médecine, à Paris. Après cinq années comme généraliste remplaçante, elle change d’orientation. Médecin du travail paraît une bonne option, le temps que ses enfants grandissent. « J’ai alors découvert la médecine de prévention et le monde du travail, les menuisiers, les garagistes, etc. qui prenaient plaisir à montrer ce qu’ils faisaient. J’ai été passionnée. Je suis restée. »
Même si, dans les dîners, médecin du travail, ça impressionne moins. Dans son dernier livre, elle confie : « C’est douloureux d’entendre le mépris porté à ma profession. » Un métier dédaigné par les employeurs, qui considèrent « la cotisation payée au service de santé au travail comme un impôt supplémentaire et ses professionnels comme des fonctionnaires », et par les salariés qui, « comme nos confrères de ville, nous associent aux médecins des assurances et ignorent que nous sommes soumis aux règles du secret médical ».
D’une certaine façon, la crise du Covid-19, en créant un vent de panique dans les entreprises, confrontées au télétravail et à la mise en place de protocoles de protection, a eu un effet salutaire. « On a redécouvert le médecin du travail ! se réjouit-elle. Il a fallu répondre aux salariés angoissés, protéger les personnes vulnérables sans trahir le secret médical, opposer un refus aux employeurs cherchant à l’outrepasser, tempérer l’inflation des mesures sanitaires réclamées par les représentants du personnel. Et ce, en gardant pour cap notre mission : éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. »
Cependant, la proposition de loi des députées Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, en cours d’examen au Parlement, l’inquiète. Dans sa logique de gestion de la pénurie de médecins, elle pourrait faire disparaître la clinique du travail : « Si nous perdons la coordination de l’équipe pluridisciplinaire, c’est grave ! Dans les services de santé, on risque de travailler en silo, avec une expertise déconnectée de la clinique. Le médecin doit garder une vue d’ensemble pour comprendre les gestes professionnels et l’environnement des salariés. La consultation ne suffit pas pour établir le lien entre travail et santé. » La perte lui paraît d’autant plus irrémédiable que les intervenants en prévention des risques professionnels et les infirmiers ne bénéficient pas de l’indépendance des médecins.

Humanité et droiture

Aujourd’hui, la voilà qui referme une page ouverte avec son premier livre : « Du harcèlement moral au burn-out, je constate la même souffrance mais amplifiée, démultipliée, notamment à cause de l’intensification du travail. Car les organisations ne parviennent pas à changer d’approche pour adapter le travail à l’homme. » Ce n’est pas faute de s’y être essayée pour sa part, avec ténacité. Dominique Bruneau, psychologue du travail, une de ses collègues de l’ACMS, souligne son « savoir-faire vis-à-vis des employeurs » : « Marielle le tient de sa parfaite maîtrise du rôle de médecin du travail, de sa connaissance pointue des risques psychosociaux et du droit du travail. Elle parle avec conviction et professionnalisme. » Nicolas Sandret apprécie son humanité et sa droiture : « Elle n’est pas dans une approche politique mais la manière dont elle pratique son métier est très engagée. » Et ce n’est pas la perspective d’une retraite prochaine qui la détournera de sa voie. « Militante de la santé au travail » – selon ses propres mots –, elle entend le rester jusqu’au bout.

A lire
  • Journal d’un médecin du travail, par Dorothée Ramaut, Le Cherche-Midi, 2006.
    Mon médecin du travail. Prévention et conseils, par Marielle Dumortier, Le Cherche-Midi, 2009.
    Le monde du travail est devenu fou ! par Marielle Dumortier, Le Cherche-Midi, 2020.