Mobilisation mutualiste sur les risques toxiques
Plusieurs mutuelles ont décidé d’interpeller les autorités européennes sur les enjeux de santé publique liés aux expositions professionnelles et environnementales à l’amiante et aux pesticides. Elles souhaitent un renforcement de la réglementation et de la prévention.
« Ouvrir un nouveau chapitre de santé publique. » Telle était l’ambition affichée par les 40 mutuelles réunies le 11 avril dernier à Bruxelles, pour un colloque organisé à leur initiative, réunissant scientifiques, associations, entrepreneurs, syndicats et responsables politiques. Les mutuelles ont en effet exigé une révision profonde de nos systèmes productifs, en vue d’assurer une meilleure protection des citoyens européens face aux pollutions causées par l’amiante et les pesticides. « Nous sommes une trentaine de mutuelles – protégeant 10 millions de citoyens – à demander à la présidente de la Commission européenne Ursula Van der Leyen et à celle du Parlement, Roberta Metsola, de retirer l'amiante de tous les bâtiments publics en Europe », a ainsi déclaré Martin Rieussec-Fournier, représentant de la Mutuelle familiale et coordinateur du colloque.
Près de 90 000 décès évitables
Leur demande est appuyée par la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois (FETBB), parmi les plus exposés à la fibre tueuse, notamment dans le cadre des chantiers de rénovation énergétique. Les mutuelles ont également rappelé que, selon une étude de l’Institut syndical européen, l’amiante provoque encore près de « 90 000 décès évitables par an en Europe ». « Le sujet a été oublié, regrette Martin Rieussec-Fournier. Les diagnostics techniques amiante (DTA) ne sont pas actualisés, les travailleurs sont en danger, de même que les autres citoyens. Pensons par exemple aux enfants dont les écoles contiennent encore de l’amiante ou aux enseignants qui tombent malades. » Selon une étude publiée en 2019 par Santé publique France, 20 à 60 personnels de l’Education nationale développeraient chaque année un mésothéliome en lien avec une exposition professionnelle dans l’Hexagone.
« Le coût des cancers liés au travail est immense : entre 270 et 610 milliards d'euros chaque année, ce qui représente de 1,8 % à 4,1 % du produit intérieur brut de l'Union européenne », ont dénoncé les mutuelles, citant toujours une étude de l’Institut syndical européen. Elles alertent également sur les dangers liés aux pesticides. Alors que les preuves de leur dangerosité s’accumulent, sans que leur usage ne diminue, les mutuelles souhaitent que la législation européenne sur l'évaluation de leur toxicité avant leur autorisation de mise sur le marché soit renforcée. « Pour le moment, aucun bidon n’est testé tel qu’il est vendu », précise Martin Rieussec-Fournier. Seules les matières actives font l’objet d’une évaluation, isolées des co-formulants qui composent le produit final, comme le conteste la campagne « Secrets toxiques », initiée par plusieurs associations et dont certains membres étaient présents lors du colloque. « Dix des mutuelles présentes au colloque demandent aux responsables européens de mettre en œuvre le scénario de l'Inrae pour une Europe 100 % agro-écologique, sans pesticides d'ici 2050, avec un objectif intermédiaire de 25 % d'agriculture biologique d'ici 2030 », détaille Martin Rieussec-Fournier.
Sentinelles de la santé publique
Comme lors du colloque qu’elles ont organisé le 5 février 2024 au Sénat, à Paris, sur le même thème, les mutuelles mobilisées insistent sur le fait que les malades au travail sont des sentinelles de la santé publique. « Nous sommes solidaires des agriculteurs qui sont les premiers à mourir des pesticides. Plus largement, toute la population est touchée par ces poisons, dès le plus jeune âge, au travers de l'eau, de l'air, des sols et de l’alimentation », mentionne leur déclaration collective du 11 avril. « Sur cette question de l’environnement, les mutuelles ont tardé à se sentir légitimes, explique Nathalie Mayance, présidente d'Apivia Macif Mutuelle (1,8 million d’adhérents). Elles ont longtemps considéré qu’il s’agissait d’un domaine réservé aux associations écologistes. Mais il est désormais clair pour un certain nombre d’entre elles que, quand on parle de la chute de la biodiversité, on parle de la santé publique. L’amiante et les pesticides ne sont pas les seuls polluants qui posent des problèmes. On peut aussi citer les PFAS [per- et polyfluoroalkylées], ainsi que de nombreux autres composés chimiques. »
Les mutuelles mobilisées espèrent qu’il y aura un effet d’entraînement et que, toutes ensemble, elles pourront faire pression sur les entreprises pour qu’elles se transforment. « Cela fait quatre-vingts ans que la Sécurité sociale passe son temps à éponger les externalités négatives de l’industrie, cela n’est plus possible, dit Nathalie Mayance. Sinon, tout le monde va devoir cotiser énormément pour augmenter le budget de la Sécurité sociale, ou alors on va compter davantage sur les complémentaires et les adhérents vont également devoir cotiser davantage… On ne peut plus continuer à assurer les risques sans se poser de questions. Il faut revoir nos modes de développement, de consommation et d’organisation du travail pour réduire ces risques. » Rendez-vous a été donné le 18 juin prochain, à Bruxelles, « pour bâtir des plans d’actions précis et remporter cette bataille pour la santé publique et planétaire ».