Moisson de suicides chez les agriculteurs

par Michel Delberghe / 17 octobre 2013

Une étude de l’Institut de veille sanitaire confirme un taux de suicides plus élevé que la moyenne chez les exploitants agricoles. Le suicide est ainsi la troisième cause de décès dans une profession particulièrement affectée par les crises à répétition.

C’est une confirmation. La proportion de suicides parmi les exploitants agricoles et leurs conjoints est une des plus élevées en France. Réalisée à la demande du ministère de l’Agriculture et publiée le jeudi 10 octobre, l’étude de l’Institut de veille sanitaire (InVs) sur la mortalité par suicide des agriculteurs exploitants fournit pour la première fois des données précises – encore qu’incomplètes – sur un risque majeur qui justifie la mise en œuvre d’un plan de prévention.

Entre 2007 et 2009, durant les trois années d’observation de l’enquête, 485 chefs d’exploitation agricole ou leur conjoint se sont donné la mort, essentiellement des hommes (68 %), au nombre de 417 (respectivement 130 en 2007, 146 en 2008 et 141 en 2009). Parmi les femmes (68), l’évolution est à peu près identique : 19 la première année, puis 27 et 29. Avec un taux de 32,5 décès pour 100 000 en 2007 et de 35,9 en 2009, la mortalité par suicide des exploitants reste inférieure à celle enregistrée dans le secteur de la santé et du social (38 pour 100 000). Mais elle dépasse celle enregistrée chez les ouvriers (31,8). Et ce risque reste trois fois plus élevé chez les exploitants – deux fois chez les femmes – que parmi les cadres.

A l’origine de 15 % des décès, le suicide est la troisième cause de mortalité dans cette population d’un peu plus de 500 000 personnes, après le cancer (32 % pour les hommes et 49 % chez les femmes) et les pathologies cardiovasculaires (19 %). Les producteurs de lait et de viande bovine sont particulièrement affectés. C’est parmi cette catégorie d’exploitants, avant tout ceux âgés de 45 à 64 ans, que le taux de surmortalité par suicide est le plus élevé.

 « Isolement social »

Même s’ils ne disposent pas de données « objectives » sur les causes de cette aggravation, les responsables de l’étude formulent l’hypothèse que « l’excès de mortalité observée à partir de 2008 pourrait être pour partie associé aux fortes contraintes financières liées à la crise économique subie dans le monde agricole depuis 2007. Selon l’Insee, en effet, le revenu d’entreprise agricole a fortement baissé entre 2008 et 2009 (– 35,3 %) alors qu’il avait déjà beaucoup baissé entre 2007 et 2008 (– 23,6 %, particulièrement chez les éleveurs, producteurs de lait et de viande ». Pour la Dre Ellen Imbernon, directrice du département santé et travail à l’InVs, « l’isolement social et l’intrication de la vie privée et professionnelle » peuvent être des facteurs de risque pour des exploitants en difficulté qui ne bénéficieraient pas d’un soutien collectif. Elle relève également que le passage à l’acte aboutit au décès dans la plupart des cas. Dans le dossier de Santé & Travail consacré à l’agriculture (n° 84, octobre 2013), le Dr Yves Cosset, médecin-chef de l’échelon national de santé-sécurité au travail à la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, ajoutait à l’impact des faillites économiques et des crises sanitaires le désespoir d’agriculteurs dans l’incapacité de transmettre leur exploitation et leur patrimoine, faute de repreneurs.

En l’état, les premières indications de l’étude de l’InVs ne reflètent pas totalement la réalité. En raison de la complexité des situations et de l’absence de données plus précises, cette enquête a été limitée aux agriculteurs exploitants et à leurs conjoints collaborateurs, sans pouvoir prendre en compte les salariés agricoles, intérimaires et saisonniers. Elle ne porte pas non plus sur les exploitants d’outre-mer et, pour des raisons d’affiliation à un régime spécial spécifique, ceux d’Alsace-Moselle. Par ailleurs, faute de suivi personnel, elle ne peut intégrer les suicides intervenus dans l’année qui aurait suivi l’arrêt ou la cession de l’exploitation. En revanche, les informations recueillies vont être approfondies. L’analyse des données actuelles sera complétée par un examen plus précis du statut marital, de la taille et de la répartition géographique des exploitations, indique Ellen Imbernon. Surtout, cette enquête de suivi triennal devrait être reconduite d’année en année pour parvenir au suivi d’une réalité encore trop « sous-estimée ».