Nanomatériaux : un effet fibrosant sur le poumon

par Rozenn Le Saint / 03 janvier 2017

Dans une étude sur des souris exposées de façon répétée à des doses de nanoparticules rencontrées en milieu professionnel, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) met en évidence la survenue de fibroses pulmonaires.

« Pour la première fois, notre étude démontre que l'exposition répétée aux nanoparticules à des doses rencontrées en milieu professionnel est potentiellement dangereuse pour les poumons », résume Sophie Lanone, chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Avec son équipe, elle a mené des travaux expérimentaux consistant à exposer des souris à des doses de nanoparticules métalliques représentatives de celles inhalées par des soudeurs professionnels, ou plus fortes, proches de celles respirées par des opérateurs dans des usines de fabrication de ces nanoparticules métalliques. Le résultat est sans appel. L’équipe a ainsi observé que le tissu pulmonaire entourant les bronchioles du premier groupe de souris était presque deux fois plus épais que chez le groupe témoin. Chez celles soumises aux doses plus importantes, l’épaississement était quatre fois plus élevé que chez les souris témoins, et il touchait aussi les tissus entourant les vaisseaux sanguins et les alvéoles pulmonaires. Les chercheurs ont également remarqué une inflammation du tissu de soutien situé entre les parois des alvéoles.

Il y a deux ans, les scientifiques avaient découvert des nanoparticules d'oxydes métalliques dans les poumons de soudeurs professionnels au niveau des zones montrant des signes d’inflammations et de lésions des poumons. L’idée était donc de déterminer la responsabilité des nanoparticules. C’est à présent chose faite.

Une nouvelle bombe à retardement ?

Par contact, ingestion ou inhalation, les nanoparticules s’immiscent dans l’organisme, sous la peau et dans les poumons et franchissent les barrières physiologiques cutanées ou alvéolo-capillaires (isolant les alvéoles pulmonaires des vaisseaux sanguins). Ces particules se mesurent en nanomètre, ou milliardième de mètre, soit 50 000 fois moins que l’épaisseur d’un cheveu. Invisibles comme l’amiante… Peut-être aussi dangereuses, comme le craignent les experts, qui redoutent une nouvelle bombe à retardement, avec des surgissements de cancers des décennies après l’exposition. Elles sont présentes dans la plupart des produits du quotidien (aliments réalisés à partir de composés chimiques comme les confiseries, dentifrices, crèmes solaires, textiles, pneus, carburants, batteries, produits électroménagers, ciments, peintures, isolants…). L’ensemble de la population est donc exposée, mais ceux qui produisent des nanomatériaux le sont d’autant plus.

Les nanoparticules donnent aux matériaux dans lesquels elles sont incorporées robustesse, élasticité, adhérence… Des propriétés physiques, chimiques ou biologiques qui expliquent que l’industrie les utilise sans compter.

Or justement, depuis le 1er janvier 2013, la loi issue du Grenelle de l’environnement a mis en place un dispositif de déclaration des substances à l’état nanoparticulaire. C’est l’Agence française de sécurité sanitaire (Anses) qui est chargée du recensement et de la gestion de la base de données rassemblant les informations ainsi déclarées. Son dernier rapport d'étude,rendu public par le ministère de l’Environnement le 2 novembre dernier, est inquiétant. Il indique que 2 603 entreprises affirment utiliser des nanos en France, soit 9 % de plus qu’en 2015 et un tiers de plus qu’en 2014. La quantiteì totale de substances manipuleìes est de 475 766 tonnes, soit près de 13 % de plus qu’en 2015.

Les nanoparticules sont donc partout et, d’ici 2020, les prévisionnistes estiment que 6 millions de travailleurs y seront exposés sur leur lieu de travail. C’est cela qui effraie les experts, compte tenu de la menace que représente une utilisation généralisée de ces matériaux et de ce que l’on pressent de leurs effets sur la santé.

Pour des mesures de restriction

Si cette déclaration obligatoire confirme l’usage excessif des nanoparticules, elle n’en limite pas l’usage. Et seules certaines sont classées « possiblement cancérogènes pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), comme le dioxyde de titane, que l’on retrouve dans les peintures ou les crèmes solaires. Pour les expositions professionnelles, l’Anses avait recommandé en 2008 de subordonner la mise en œuvre de nanomatériaux à la réalisation d’évaluations des risques et la signalisation des risques « nano-objets ». Six ans plus tard, elle a préconisé en plus un classement des nanoparticules de dioxyde de titane (et autres) comme substances dangereuses afin que soient mises en place des mesures de restriction d’usage, voire d’interdiction de l’utilisation de certaines applications grand public. Aujourd’hui, le communiqué de l’Inserm estime que cette nouvelle étude milite pour la mise en place rapide de valeurs limites d'exposition réglementaires dédiées aux nanoparticules en milieu professionnel. Mais les mesures réglementaires n’ont pour l’heure pas suivi ces recommandations. C’est ce qui s’appelle jouer avec le feu !

A LIRE AILLEURS SUR LE WEB
  • – L’article des Inrocks sur la fausse couche d’une salariée d’Auchan.

    – Un article sur ce que dit le burn-out du dysfonctionnement du management, sur le site Huffingtonpost.fr.

    – Les articles de Libération et Challenges sur les enjeux du droit à la déconnexion, applicable depuis le 1er janvier.