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« Ne lâchons pas le travail ! »

par Thomas Coutrot Alexis Cukier Julien Lusson, animateurs des Ateliers travail et démocratie / 18 novembre 2021

Pandémie de Covid-19, transition écologique, ubérisation de l’économie… Voilà des enjeux rarement pensés du point de vue de l’activité professionnelle et du quotidien des salariés. Dans cette tribune, Thomas Coutrot, Alexis Cukier et Julien Lusson, animateurs des Ateliers travail et démocratie invitent à faire entendre la cause du travail vivant dans le débat politique.

Dans cette campagne présidentielle, on le voit déjà, la droite célèbre une soi-disant « valeur travail », visant en fait surtout à stigmatiser les chômeurs. Tandis que la gauche et les écologistes n’en parlent guère ou se préparent à sa supposée disparition. A ce jour, les programmes des candidats de tous bords traitent parfois de l’emploi mais jamais de la soutenabilité du travail, professionnel ou même domestique. La dernière réforme qui s’est engagée dans cette voie date… de 40 ans ! C’étaient les lois Auroux.
Or, plus que jamais, ce pour quoi nous travaillons et la façon dont nous le faisons déterminent la qualité de nos rapports aux autres, de notre santé et de celle de la nature, de la démocratie, bref de notre vie. Un exemple récent, et pas des moindres, nous le rappelle : qu’elle provienne d’une fuite de laboratoire, d’un élevage intensif ou de la déforestation, la pandémie de Covid-19 est intimement liée à la dégradation du travail, dans un contexte où priment la finance et l’exploitation massive des ressources.
Le monde professionnel est aujourd’hui marqué par la souffrance, comme le montre l'effondrement en cours de notre système hospitalier : des milliers de lits sont fermés non plus à cause de restrictions budgétaires, mais parce que les soignants démissionnent en masse pour fuir une organisation du travail absolument insoutenable. Comment se résigner à ce que « l’hôpital » soit le « grand absent de la campagne présidentielle après dix-huit mois de crise sanitaire », comme le titrait Le Monde dernièrement ? Ce refus du « maltravail » s'étend aussi à d’autres secteurs : sanitaire et social, hôtellerie-restauration, BTP, etc. Les salariés n’en peuvent plus des conditions de travail délétères. Malheureusement, la seule parade proposée par le gouvernement est de réduire drastiquement les allocations chômage.

Recherche de sens

Il faut sortir de ce déni politique et donner au travail la place qu’il mérite dans le débat public. Quatre dimensions semblent aujourd'hui centrales dans la réflexion pour nourrir des propositions.
La première concerne les questions posées par les transformations du travail pendant la crise sanitaire. Nous savions déjà que, malgré l'emprise croissante des normes et objectifs quantitatifs, la logique de care et d’attention aux autres (usagers, clients, collègues...) imprègne clandestinement la plupart des expériences de chaque salarié. Comment la pandémie a-t-elle changé notre rapport au travail ? Que signifie la recherche de sens qui motive aujourd'hui nombre de bifurcations professionnelles ? De quelle manière faire reculer la « gouvernance par les nombres » au bénéfice du travail attentionné ?
La seconde tient à la transition écologique. Consumérisme et pollutions résultent d'une activité abstraite (marketing, publicité, conception des produits et procédés...), pilotée par les impératifs de profit et indifférente aux effets concrets sur le vivant. Et les GAFAM [acronyme désignant les cinq entreprises les plus puissantes du numérique, NDLR] n'arrangent pas les choses... Il est nécessaire d’investiguer les conflits qui sous-tendent la contradiction capital/nature, de voir quelles initiatives peuvent en émerger et de penser la façon d’instituer la défense du vivant dans l’organisation du travail.

Redynamiser l’action collective

En troisième lieu, il convient de réinterroger la proposition centrale que porte historiquement la gauche, la réduction du temps de travail, qui figure à ce jour dans la plupart des programmes des candidats de gauche et écologistes. Celle-ci vise classiquement à limiter l'emprise de l'aliénation salariale sur la vie, accroître le temps libre et les activités autonomes des salariés, redistribuer les richesses grâce au maintien des rémunérations et aux embauches. Comment en faire aussi un instrument de la sortie du productivisme et de la reprise en main du travail par les premiers concernés ?
Enfin, avec la loi Travail de François Hollande (2016), les ordonnances d'Emmanuel Macron (2017) et le soutien des pouvoirs publics à l'ubérisation généralisée, nous subissons une offensive véritablement inédite contre nos droits sociaux et démocratiques. Les dégâts sont considérables, mais des résistances et des alternatives solidaires commencent à voir le jour, tant au sein du salariat que parmi les indépendants et auto-entrepreneurs. Des recherches-actions menées par certains syndicats s'attachent à redynamiser l'action collective autour des enjeux d'un travail bien fait. Comment s'appuyer sur toutes ces initiatives pour instituer des avancées démocratiques dans l'organisation de l’activité et commencer à considérer une sortie de la subordination salariale ?
C’est à ces enjeux que l’assemblée citoyenne pour la démocratie au travail, organisée par les Ateliers travail et démocratie1 , tentera de répondre le 15 janvier prochain à la Bourse du travail de Paris. Avec les témoignages et propositions des travailleurs de la santé, de l’éducation, du monde industriel et agricole…

  • 1Les Ateliers travail et démocratie regroupent des syndicalistes, chercheurs et intervenants en santé-travail qui veulent faire reconnaître la démocratie au travail comme un enjeu décisif de la santé humaine et environnementale et de la démocratie politique.