© Juliette de Montvallon

Retrouver du sens au travail

par Stéphane Vincent / janvier 2022

« C’est pas du travail ! » Cette expression résume bien le désarroi de nombreux travailleurs face à leur activité professionnelle. Elle induit aussi l’idée que le travail ne peut s’envisager sans une exigence de qualité, qui lui donnerait tout son sens. Ce sens, sa perte ou son besoin font l’objet aujourd’hui, avec la crise du Covid, d’un débat de société. Encore faut-il déterminer ce qui se cache derrière. Le rapport au travail, ce que l’individu y investit, renvoie à l’histoire de chacun. Il est ainsi impossible de définir un « sens unique » du travail. En revanche, le besoin de se reconnaître dans ce que l’on fait est partagé par tous et toutes et constitue un enjeu de santé. De même, la richesse du travail, ce qui lui permet de faire société, tient à la possibilité pour les personnes de coopérer, de confronter et partager leurs expériences. Or le travail n’est pas organisé selon ces impératifs. Il est maltraité. Les conflits liés à l’activité ne sont pas discutés. Tout ceci génère des souffrances que les préventeurs doivent pouvoir décrypter, en aidant les travailleurs à mettre des mots sur leurs maux. Un rôle d’appui menacé par la mise en œuvre de méthodes standardisées, qui éloignent de la scène du travail. Pour certains, la solution passe alors par le désengagement ou la colère. Pour d’autres, le salut peut résider dans un changement de vie, à l’image des néo-paysans, génération spontanée d’agriculteurs en quête d’une activité qui a du sens.

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De nombreux travailleurs en conflit de valeurs

par Mikaël Beatriz, adjoint au chef du département Conditions de travail et santé, direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares), ministère du Travail / janvier 2022

Beaucoup de personnes sont exposées à des conflits éthiques au travail ou à une perte de sens de ce dernier. Une réalité que la crise du Covid-19 a atténuée pour certains métiers, notamment ceux mobilisés pour faire face à l’épidémie.

Lorsque l’exercice du travail entre en contradiction avec les valeurs auxquelles les travailleurs sont attachés – convictions personnelles, travail de qualité, utilité du travail pour la société… – on parle de conflits éthiques ou de valeurs (voir « A lire »). Il peut en résulter un état de souffrance, des atteintes à la santé mentale, voire des suicides. Les enquêtes nationales sur les conditions de travail permettent de décrire ces situations et de déterminer la proportion de salariés qui y sont exposés.
Peu avant le début de l’épidémie de Covid-19, 60 % des personnes en emploi étaient ainsi confrontées à des conflits de valeurs dans des configurations diverses et à des degrés variés (voir « A lire ») : 18 % faisaient face à des conflits éthiques tout en disposant de moyens pour travailler correctement ; 12 % éprouvaient la fierté d’un travail utile et bien fait malgré une insuffisance de moyens ; 11 % jugeaient leur travail inutile même en disposant des moyens pour bien le faire ; 8 % que leur travail manquait de sens et de qualité ; 11 % cumulaient l’ensemble de ces expositions. Ces personnes sont aussi davantage soumises aux pénibilités physiques, au travail sous pression… Cela se traduit par un état de santé plus dégradé. Une exposition maximale aux conflits de valeurs entraîne des pensées suicidaires plus de deux fois plus fréquentes relativement aux non exposés. En général, les femmes sont davantage concernées que les hommes, notamment du fait de contacts avec le public, plus répétés dans les métiers féminisés et plus exposant aux conflits de valeurs.

Sentiment d’utilité renforcé

Entre-temps, la crise sanitaire est venue bousculer le travail. Dans certains cas, les conditions concrètes de son exercice ont évolué, mais la perception que pouvaient en avoir les salariés a aussi été modifiée par l’épidémie. C’est ce que montre l’enquête Tracov, menée par la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail. Globalement, le sentiment de faire quelque chose d’utile ou la fierté du travail bien fait se sont renforcés, même si ce constat diffère selon les secteurs.
Les travailleurs des secteurs les plus sollicités et dont l’activité s’est intensifiée pendant la crise (santé, action sociale, enseignement, commerce de détail etc.) sont les plus nombreux à avoir connu un renforcement du sens de leur travail, bien que les autres conflits de valeurs (devoir faire des choses qu’on désapprouve, manquer de moyens pour effectuer correctement ses tâches) restent à un niveau relativement élevé. Ces métiers étant à prédominance féminine, le sentiment de faire un travail utile s’est davantage renforcé pour les femmes. Inversement, dans les secteurs aux conditions de travail particulièrement dégradées par la crise, comme les activités de banque-assurance et celles où le recours au télétravail s’est développé, le travail a perdu du sens.

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