"Nous faisons évoluer nos pratiques syndicales"

entretien avec Eric Beynel, porte-parole de Solidaires
par Martine Rossard / avril 2014

Face aux nouveaux enjeux de santé au travail, l'union syndicale Solidaires forme et mobilise ses équipes militantes, à travers notamment des journées thématiques. La dernière a traité des effets du lean et de ses avatars.

L'union syndicale Solidaires a organisé le 30 janvier une journée de travail sur le "lean", le toyotisme, le "kaizen"... Pourquoi ce choix ?

Eric Beynel : Solidaires travaille depuis plusieurs années sur ces nouvelles formes d'organisation du travail, en raison de leurs effets néfastes sur les conditions de travail. Malgré les dégâts humains, elles se développent dans le privé comme dans le public. Au début, les entreprises annonçaient la couleur, mais elles usent maintenant de subterfuges, comme la méthode Elan utilisée à La Poste, qui est en fait du lean. Elles avancent également par mouvements successifs, en noyant les équipes syndicales sous les réorganisations. Nous faisons évoluer nos pratiques syndicales face à la volonté patronale d'individualiser les relations de travail et de déliter les collectifs. Nous avons donc invité la sociologue Danièle Linhart et le philosophe Sidi Mohammed Barkat pour qu'ils nous apportent leur éclairage sur la question. Puis nous avons échangé sur les pratiques des équipes syndicales.

L'action syndicale peut-elle limiter les effets de ces modes d'organisation ?

E. B. : Nous connaissons déjà quelques résultats positifs, à travers trois types d'action. Sur le plan juridique, Sud Banques populaires Caisses d'épargne a obtenu la condamnation de la caisse d'épargne Rhône-Alpes pour la façon dont elle avait utilisé la méthode du benchmark, en mettant les membres du personnel et les agences en concurrence, ce qui compromettait "gravement la santé des salariés", selon le tribunal de grande instance de Lyon. D'autres équipes reprennent cette démarche pour contrer les abus des outils d'évaluation des salariés. La stratégie des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail compte aussi, par exemple via le lancement d'expertises pour prévenir les risques en amont des réorganisations. Le dernier axe est la sensibilisation des salariés, afin qu'ils ne mettent pas leurs ressources psychiques au service de ces nouvelles organisations. Nous souhaitons notamment former l'ensemble des équipes syndicales à la pratique d'enquêtes de terrain.

Après cette journée sur le "lean", avez-vous d'autres initiatives en vue ?

E. B. : Nous élaborons une formation pour renforcer la visibilité des cancers professionnels. La traçabilité des expositions au travail doit notamment être assurée pour que ces cancers soient reconnus comme maladies professionnelles et donc indemnisés, ce qui permettra de faire avancer la prévention. Nous travaillons aussi sur la pénibilité et le compte personnel de prévention de la pénibilité. Nous venons d'éditer sur ce sujet une fiche pratique - et critique. Par ailleurs, avec nos journées "Et voilà le travail", et les bulletins mensuels Et voilà...1 , nous sensibilisons et mobilisons les militants sur les enjeux de santé au travail, qui doivent être traités à la même hauteur que les questions de salaire et d'emploi.