Un nouveau couac de la direction de France Télécom

par François Desriaux / 01 octobre 2009

La direction de France Télécom est intervenue pour décommander l'intervention d'un psychiatre sur le site d'Annecy. Celle-ci avait été sollicitée par un médecin du travail afin que soient reçus en consultation des salariés choqués par le suicide de leur collègue.

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La Dre Brigitte Font Le Bret connaît bien France Télécom et la souffrance de ses salariés. Et pour cause. A Grenoble, cette psychiatre, qui a été également médecin du travail et dont la compétence est reconnue sur les problèmes de souffrance psychique, soigne des agents de l'opérateur du téléphone dans la région Rhône-Alpes. Elle est aussi membre du conseil scientifique de l'Observatoire du stress de France Télécom, monté par Sud et la CFE-CGC. La Dre Font Le Bret se sent donc très concernée par le dernier suicide survenu lundi 28 septembre, celui d'un commercial d'Annecy qui s'est jeté d'un pont.

Lundi, elle propose donc spontanément ses services au médecin du travail du site, Dominique Delpuech, afin de venir en aide aux salariés choqués par le suicide de leur collègue, un technicien connu et apprécié. Le médecin du travail la remercie et l'informe que la direction a mandaté un cabinet spécialisé de psychologues basé à Paris, l'IAPR, pour venir soutenir les salariés en difficulté. Sauf que le thérapeute envoyé depuis la capitale ne reste que la journée et repart mardi soir sans avoir rencontré tous les salariés en souffrance.

Un numéro Vert

Le médecin du travail recontacte alors la Dre Font Le Bret pour lui demander de venir le lendemain, mercredi, recevoir en consultation une dizaine de salariés qui ne vont pas bien. Brigitte Font Le Bret accepte, décale ses rendez-vous et convient de retrouver le médecin du travail le mercredi matin, devant le plateau de France Télécom.

Une rencontre qui n'aura jamais lieu. Entre-temps, la psychiatre reçoit un coup de fil de l'ancien directeur du service de santé au travail de la région Centre-Est de France Télécom, M. Jean-Claude Gaunat1, chargé aujourd'hui de la gestion des « situations complexes ». Celui-ci la remercie vivement mais lui annonce que la direction de France Télécom préfère mettre en place un autre dispositif : un numéro Vert à disposition des salariés pour joindre un psychologue au téléphone.

La Dre Font Le Bret insiste, explique qu'une écoute téléphonique n'est pas la solution la plus appropriée pour répondre au choc post-traumatique provoqué par le suicide d'un proche, qu'il serait préférable d'organiser de vraies consultations, car des prescriptions médicales − voire des hospitalisations − peuvent s'avérer nécessaires.

Ses arguments ne seront pas suffisants. Après plusieurs échanges téléphoniques avec, semble-t-il, la direction nationale, Jean-Claude Gaunat confirme à la psychiatre la position de France Télécom de proposer aux salariés le fameux numéro Vert, en plus des consultations avec le médecin du travail.

Une décision strictement médicale

Pour la Dre Font Le Bret, cette décision est choquante et elle s'en est plainte immédiatement auprès des responsables syndicaux de l'observatoire du stress. « Si mon confrère médecin du travail a fait appel à moi, justifie-t-elle, c'est bien parce qu'il a estimé à un moment donné que des consultations physiques, avec un psychiatre qui connaît l'entreprise et qui a une expérience des chocs post-traumatiques, étaient nécessaires et préférables à de simples entretiens téléphoniques. Je trouve surprenant qu'une décision strictement médicale prise par le médecin du travail soit de fait soumise à la direction et contrecarrée par elle. C'est avec la direction que j'ai eu des échanges sur la finalité des consultations et c'est elle qui m'a signifié sa décision, et non mon confrère. »

Joint par téléphone, le médecin du travail, le Dr Delpuech, minimise la portée de cette décision : « Si j'avais insisté, la direction de France Télécom m'aurait tout à fait permis de faire appel à ma consœur. Mais j'ai estimé que le dispositif mis en place convenait à la situation. Je pouvais recevoir moi-même en consultation des salariés et les orienter. Quant au numéro Vert, il était adapté aussi au fait que le plateau où travaillait le collaborateur qui a mis fin à ses jours a été fermé jusqu'à la fin de la semaine. Lundi prochain, à la reprise, un psychologue de l'IAPR devrait être de nouveau présent. Mais il n'est pas exclu qu'en fonction de l'évolution de la situation, nous fassions quand même appel au Dr Font Le Bret. »

Il n'est pas évident que ces commentaires suffiront à éviter les protestations des organisations syndicales sur la faiblesse des moyens mis en œuvre par la direction pour venir en aide aux salariés traumatisés par le suicide d'un collègue. Dès ce matin, un mail, dont Santé & Travail a eu connaissance, a été adressé par le délégué syndical central adjoint de la CFE-CGC à la directrice territoriale Centre-Est, Françoise Bayle, pour lui demander des explications.

Cet épisode soulève, une fois de plus, la question de l'indépendance de la médecine du travail à France Télécom. La réalité des changements de management promis par le PDG de l'entreprise, Didier Lombard, se fait attendre.

1. Contacté par Santé & Travail, Jean-Claude Gaunat a refusé de s'exprimer.