Vers une nouvelle réforme de la santé au travail ?
Depuis six mois, la députée Charlotte Lecocq auditionne les acteurs de la santé au travail dans le cadre d'une mission confiée par le Premier ministre : explorer les voies d'amélioration de l'organisation de la prévention. Premier bilan d'étape.
Il faudra attendre la rentrée. Commandé par le Premier ministre à Charlotte Lecocq, députée LREM du Nord, le rapport sur la santé au travail devait être remis en avril mais ne sera finalement rendu public qu'en septembre. Même si, selon nos informations, le gouvernement dispose de ses recommandations depuis la fin juin.
La lettre de mission, signée par Edouard Philippe le 22 janvier, appelait à trouver les leviers pour améliorer le système de prévention des risques professionnels et remédier au millefeuille d'acteurs "pas ou peu coordonnés entre eux dans l'exercice de leurs missions" (voir "Repère"). Avec l'objectif que cette amélioration bénéficie aux travailleurs, "dont la protection doit être assurée" et aux entreprises, "dont la responsabilité doit être organisée dans un cadre sécurisé et prévisible".
Pas d'audition des professionnels
Auditions et réunions publiques se sont succédé durant le premier semestre pour prendre le pouls du terrain. Francis Six, professeur d'ergonomie à l'université de Lille, retraité, a participé aux deux ateliers qui se sont tenus dans la circonscription de Charlotte Lecocq, réunissant chefs d'entreprise, DRH, médecins du travail, psychiatres, ingénieurs de prévention, etc. Selon lui, "écouter la base est une bonne chose, mais dans ce type d'exercice, sur un temps court et avec des participants hétérogènes, il n'est pas aisé de démontrer le rôle central du travail comme opérateur de santé et de défendre la nécessité de partir de l'activité de travail, sa conception, son organisation pour développer la prévention".
Curieusement, la mission Lecocq n'a pas pris le temps d'auditionner le Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), invité à ne livrer qu'une simple contribution écrite, limitée à quatre pages de surcroît. "C'est la première fois que nous ne sommes pas consultés sur une réforme qui nous concerne ! s'étonne Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du syndicatJ'y vois un choix délibéré de mettre de côté les professionnels de la santé au travail. Ce qui n'augure rien de bon..."
Plusieurs constats sont partagés par les différents acteurs. D'abord, le Plan santé au travail 2016-2020 (PST 3) apparaît comme une bonne feuille de route. Ensuite, il est indispensable de renforcer l'attractivité des professions de santé au travail. Enfin, la gouvernance du système doit être repensée. Toutefois, prévient la CFDT, "attention à ne pas mettre un coup de pied dans le système pour gagner en performance et justifier ainsi un désengagement des pouvoirs publics et une diminution des financements". Sur l'organisation, une forme de consensus émerge, avec l'idée de mettre en oeuvre un pilotage national, relayé dans des structures au plus près des territoires. La CFE-CGC propose ainsi la création d'un conseil national paritaire. Le SNPST, pour sa part, réclame la mise en place d'une agence nationale de santé au travail indépendante et coordonnant l'action d'agences territoriales organisées autour des bassins d'emploi et des pôles universitaires, le tout rattaché au ministère de la Santé.
Un pilotage national et régional
Présanse (ex-Cisme), l'organisme représentatif des services de santé au travail interentreprises (SSTI), souhaite faciliter le pilotage des politiques via un réseau des SSTI cohérent, avec des représentations au niveau à la fois régional et national. "La prévention des risques passe par les acteurs de l'entreprise, auxquels il faut donner des leviers leur permettant d'agir sur les comportements, les expositions ou l'organisation, estime Martial Brun, son directeur général. Il est nécessaire de doter le système de moyens plus importants et partagés dans les territoires. Un pilotage effectif pourrait être instauré au niveau des comités régionaux d'orientation des conditions de travail, les Croct. C'est un cadre pour formaliser la politique d'agrément et établir des diagnostics territoriaux des besoins et des ressources."
La CGT considère que la "structure paritaire nationale déclinée territorialement" pouvant fédérer les SSTI existe déjà et propose que la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale joue ce rôle. Aux yeux de Jérôme Vivenza, membre de la direction confédérale en charge des questions travail-santé, "cette solution garantit l'indépendance des services et de la médecine du travail, contribuant aussi à l'attractivité des métiers. Elle améliore la centralisation des données de santé au travail, nécessaire à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire, ainsi que leur appropriation par les professionnels". Et d'ajouter : "Nous devons saisir cette occasion unique : utiliser les excédents de la branche AT-MP afin de financer le basculement d'un système basé sur la réparation vers une culture de la prévention primaire."
Si la CFDT partage certaines approches de la centrale de Montreuil, elle ne se rallie pas à ce chapeautage par la Sécurité sociale. Pour Hervé Garnier, secrétaire national en charge de la santé au travail, il faut que les deux piliers que sont la réparation et la prévention restent distincts. "Le second pilier nécessite autre chose qu'un paritarisme de gestion pour faire face aux risques émergents du travail : une implication politique des partenaires sociaux à tous les niveaux, affirme-t-il. Par exemple, les branches professionnelles doivent mener des négociations sur la santé au travail, en lien avec la pénibilité et le handicap, et définir des priorités que la caisse AT-MP devrait mettre en oeuvre. Par ailleurs, il y aurait une cohérence dans un dispositif régional réunissant les associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail, les Croct et les SSTI, à condition que la place des partenaires sociaux soit renforcée au sein de ces derniers, via la politique d'agrément."
Sortir d'une vision comptable
Pour la CFE-CGC, la structure représentant les SSTI doit être paritaire et scientifique, afin que ceux-ci soient en mesure d'appliquer le PST 3. "Les directeurs des services ont une vision comptable de la prévention, regrette Martine Keryer, secrétaire nationale santé au travail et handicap. Ils sont dans une démarche marketing auprès des employeurs, leur proposant un catalogue de prestations pour justifier le montant de leur cotisation. La gouvernance paritaire doit être de plus complétée par un contrôle réel des Direccte1 et une évaluation qualitative du travail effectué dans les services."
Afin de sortir les SSTI d'une logique commerciale, visant à sécuriser juridiquement les employeurs - au travers des visites médicales, du document unique... -, le SNPST pense qu'il faut inscrire le système dans le champ de la santé publique, le paritarisme n'ayant qu'un poids relatif : "Une agence indépendante, financée par les cotisations des entreprises, avec de vrais objectifs de prévention soumis au contrôle social, permettra que le faire l'emporte enfin sur le faire-semblant qui est à l'oeuvre actuellement", soutient Jean-Michel Sterdyniak. Mais ce n'est pas en "démédicalisant la médecine du travail" que la prévention gagnera en efficacité et la profession en attractivité, juge-t-il.
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Directions régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi.