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La fonction publique en burn-out

par Stéphane Vincent, rédacteur en chef adjoint / janvier 2023

Epuisés, découragés… Ces dernières années, le débat public s’est fait l’écho régulièrement de la détresse exprimée par des fonctionnaires… A l’hôpital, mais aussi dans l’enseignement, la justice, etc. Ce n’est pas un concours de circonstances. Il faut y voir le résultat d’une modernisation de l’Etat menée sans concertation avec les agents, souvent au détriment de leurs conditions de travail. La mise en œuvre du concept de New Public Management et les réformes lancées depuis 2007 se sont accompagnées, entre autres, de réductions d’effectifs, de l’instauration d’une politique du chiffre et de logiques de production inspirées du privé, peu compatibles avec le maintien d’un service public de qualité. Une source de souffrance éthique pour les agents, qui ne peuvent plus mener à bien leur travail. Mais cela ne s’arrête pas là. Car les fonctionnaires, au sein de l’Etat, à l’hôpital ou dans les collectivités locales, sont particulièrement mal lotis en matière de prévention des risques professionnels. Du fait notamment d’un cadre réglementaire peu contraignant pour les employeurs, de pouvoirs limités accordés aux préventeurs, d’une tendance aussi des agents à s’oublier dans l’exercice de leurs missions, les atteintes à la santé liées au travail sont invisibilisées dans la fonction publique. Un voile pesant qu’il s’agit de lever, ce que des administrations et acteurs de terrain tentent de faire, non sans difficulté.

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«On mite l’action publique, on perd des savoir-faire»

entretien avec Arnaud Bontemps, porte-parole du collectif Nos services publics
par Alexia Eychenne / janvier 2023

Pour Arnaud Bontemps, porte-parole du collectif Nos services publics, le recours accru à des cabinets de conseil au sein des administrations contribue à déboussoler les agents, sans avantages réels en termes d’efficacité et de qualité du service public.

Les administrations sollicitent régulièrement des cabinets de conseil. En quoi cela impacte-t-il le travail des fonctionnaires ?
Arnaud Bontemps :
Pour les managers, recourir à ces prestataires est souvent une contrainte plus qu’un choix : ils disposent de crédits à dépenser, mais des règles juridiques leur interdisent de les utiliser pour embaucher des collègues. On fait de plus en plus appel aux consultants de façon routinière, pour avoir des bras en plus, sans réelle plus-value. Et la qualité des travaux a beau être inégale, on est rarement aussi exigeant qu’on devrait l’être. Tout cela contribue à une perte de sens pour les agents, d’autant que le recours aux cabinets est souvent justifié par le fait qu’ils feraient mieux que l’administration ou qu’ils seraient moins chers. Alors que beaucoup de consultants sortent des mêmes écoles que les managers du secteur public. Et à 1 500 euros hors taxes la journée, on peut avoir des doutes…

Ces consultants n’arrivent-ils pas aussi avec des méthodes inspirées du privé, en décalage avec les missions du service public ?
A. B. :
Leurs formation et méthodes les incitent à penser en termes de moyens et non d’objectifs. Mais ce ne sont pas les cabinets qui fixent le cadre et les objectifs de leur intervention. Le problème est plus profond : les services publics se sont convertis à leurs façons de faire.

Les cabinets sont aussi sollicités pour des missions de réorganisation. Avec quelles conséquences ?
A. B. :
Avant de mener une transformation, on devrait se poser la question des objectifs. La structure d’une nouvelle organisation en découle. Mobiliser des consultants sur ce type de projet est une perte de temps, car ils ne connaissent pas suffisamment les administrations et leurs activités. Une caisse de retraite, ce n’est pas pareil qu’une collectivité, qu’un ministère. Faute de se poser les bonnes questions, les réorganisations répondent souvent à une tentative de réduire toujours plus les moyens. Et cela aussi contribue fortement à la perte de sens.

Que faire pour inverser la tendance ?
A. B. :
Des corps d’agents hautement qualifiés, comme les inspections générales, disposent d’un regard un peu extérieur, tout en ayant une vision large et un sens du service public. On pourrait les solliciter davantage. Leur mise à l’écart par le gouvernement n’est pas un bon signal. Le recours aux consultants s’inscrit aussi dans une tendance à l’externalisation : en confiant de plus en plus de tâches au privé, on mite l’action publique, on perd des savoir-faire, ce qui induit des rigidités dans les organisations. Et réfléchissons surtout aux objectifs démocratiques. N’interrogeons plus les consultants sur les « moyens de l’administration », mais posons plutôt, à notre société, la question de la place du service public en son sein.

Repère
  • Le collectif Nos services publics regroupe des professionnels de terrain, fonctionnaires, contractuels et agents de la Sécurité sociale, engagés dans la défense d’un service public d’intérêt général, face à la crise qu’il traverse. Leur site : nosservicespublics.fr