© Nathanaël Mergui/Mutualité française
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Les organismes de prévention sous le rabot budgétaire

par Isabelle Mahiou / octobre 2013

Malgré les promesses du gouvernement de faire de la santé au travail une priorité, la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la Sécu, l'INRS et l'Anact affrontent la rigueur budgétaire. Et son lot de dégâts collatéraux.

Coupes budgétaires dans la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale, repositionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et de son réseau. La rentrée n'est pas sereine pour ces deux institutions majeures de la santé au travail. Des choix qui laissent perplexe quant aux moyens que se donne le gouvernement pour mettre en oeuvre ses ambitions affichées - notamment lors de la grande conférence sociale - en matière de prévention, ou encore de lutte contre la pénibilité.

Repères

La branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale est financée par les employeurs. Afin d'encourager ces derniers à développer la prévention, leurs cotisations sont calculées en fonction des accidents du travail et maladies professionnelles déclarés au sein de leur entreprise et reconnus. Un principe "pollueur-payeur" mis à mal, notamment en raison de la sous-déclaration des AT-MP.

Pour la branche AT-MP, Bercy a annoncé en juin une baisse de 10 % des effectifs et de 15 % des frais de fonctionnement sur quatre ans. Ce budget est en cours de négociation entre l'Etat et la Sécu dans le cadre de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion (COG) définissant les orientations de la branche pour la période 2014-2017. La mesure, si elle est appliquée, concernera les services prévention et tarification des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), le service réparation des caisses primaires d'assurance maladie (Cpam) et, enfin, l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

"Etouffement progressif"

L'information a mis le feu aux poudres à l'institut, où 60 à 80 postes seraient touchés, sur un total de 630 environ. "On est bien conscient qu'il y a des efforts à faire, mais pas à ce niveau. Les non-remplacements de tous les départs à la retraite conduiront à un étouffement progressif", estime Hubert Attenont, délégué syndical (DS) central CFDT. "Dans des domaines comme les rayonnements ionisants ou les risques mécaniques, ce serait catastrophique", s'inquiète le DS CFDT du site parisien, Antoine Bondéelle.

C'est tout le réseau INRS-branche AT-MP qui risque de s'appauvrir. Car l'institut, qui produit des connaissances utiles pour améliorer la prévention et pour permettre que des pathologies soient reconnues comme maladies professionnelles en prouvant leur lien avec le travail, conseille, forme et soutient la branche.

A l'inquiétude suscitée par ces restrictions budgétaires vient s'ajouter celle entraînée par la commande d'un audit, par le gouvernement, à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le "positionnement stratégique" de l'institut. Mais aussi sur ce que devrait être la prochaine convention liant l'INRS à sa "maison mère", la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Et certains de redouter une prochaine mise au pas. "L'INRS est l'organisme scientifique de la branche, il doit travailler en fonction des objectifs de celle-ci, rappelle Marc Benoit, DS central CGT de l'INRS. Mais sa vocation de recherche exige qu'il ait le contrôle sur sa production ; il a ses propres direction et conseil d'administration

Pour sa part, Jean-François Naton, le président CGT du conseil d'administration de l'INRS, considère que, "outre le gâchis absolu que signifierait un affaiblissement de l'INRS, c'est aussi complètement contre-productif pour les transformations que doit poursuivre la branche afin d'assurer ses priorités, définies par les organisations syndicales dans le projet de COG : travailler avec d'autres acteurs, évaluer ce qu'on met en oeuvre, s'axer sur les PME, les TMS, les RPS [troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux, NDLR]... Car il faut pour cela des équipes mobilisées."

Des stratégies venues d'en haut

Dans les Carsat, la baisse des effectifs frapperait directement les contrôleurs et ingénieurs, car, affirme Hubert Attenont, "on arrive au bout des gains de productivité dans la tarification. Résultat : moins de contrôles, moins de visites d'entreprise... Où est la volonté d'améliorer les conditions de travail ?"

"Avec un corps d'environ 800 agents, on est trop peu face à près de 2 millions d'établissements", déplore Didier Carton, président de l'Association nationale des contrôleurs de sécurité. D'autant plus que "chaque cas d'entreprise est propre. Notre travail est d'estimer la situation des risques, dégager des orientations, suggérer des actions et faire un suivi. Pour être pertinent, l'accompagnement est individuel", relève Christophe Laville, représentant CFDT à l'instance nationale de concertation de la branche1 . Même si les modes d'intervention évoluent : "Aujourd'hui, un contrat de prévention peut se réduire à une demande en ligne de l'entreprise et un financement au vu de pièces comptables, sans diagnostic", signale Olivier Tompa, coordinateur du collectif des préventeurs CGT. Les programmes collectifs et approches prescriptives prennent aussi davantage de place : "Quand, par exemple, poursuit-il, à partir d'un certain niveau de TMS, on invite les entreprises, par courrier, à entamer un programme de prévention, sous peine d'injonction... On touche plus d'entreprises, mais avec quelles retombées après ?" "On n'est pas dimensionné pour diminuer la sinistralité de façon massive dans des domaines donnés, comme certaines stratégies ont cherché à le faire", abonde Didier Carton.

Critiquant ces stratégies venues d'en haut, avec modalités d'intervention formatées et mesurage de l'activité, les contrôleurs expriment leur malaise - plusieurs audits l'ont souligné - face à une dévalorisation de leur métier, dès lors que leur expertise technique est moins sollicitée. Et ils font part de leurs doutes sur la cohérence entre les stratégies, les objectifs et les moyens.

Une recherche de financements chronophage

Beaucoup d'interrogations traversent également l'Anact et son réseau. Les subventions de l'Etat pour 2013 ont beau être reconduites en 2014, la situation reste fragile. "Avec ses objectifs de réduction de la masse salariale, l'Anact aura perdu 11 équivalents temps plein entre 2010 et 2015, sur un total de 79", notent ses DS CGT. Pour les 26 Aract, associations régionales, indépendantes et paritaires qui reçoivent par ailleurs des subventions des conseils régionaux et bouclent leur budget avec leurs prestations, "pérenniser un niveau d'activité est très difficile, ce qui les conduit à consacrer beaucoup de temps à la recherche de financements au détriment de leurs missions, crée une grande incertitude dans le personnel et fragilise le travail", observe une chargée de mission.

Les RPS sont-ils encore prioritaires ?
Isabelle Mahiou

Les risques psychosociaux (RPS) relèvent-ils encore d'une action prioritaire de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) ? Si ces risques sont inscrits dans la précédente convention d'objectifs et de gestion signées entre l'Etat et la branche, et dans le projet 2014-2017, les déclarations du directeur des Risques professionnels (DRP) de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), Dominique Martin, sèment le doute.

Le 7 mars, devant l'instance nationale de concertation, qui réunit dirigeants et syndicats de salariés de la branche, il affirmait qu'il était "envisageable de procéder à des montages opérationnels en déléguant par convention les RPS à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail [Anact] ou à un autre organisme public, sans pour autant que la branche se dédouane de ses responsabilités". Un discours qui, selon nos sources, aurait été tenu à plusieurs reprises, de façon plus tranchée, dans les Carsat. Comme à Orléans, le 27 juin, où le DRP aurait parlé de "fantasme" et "d'effet de mode" à propos des RPS. Cette position épouse la logique du récent rapport de la Cour des comptes sur la politique de la branche, qui prônait une approche assurantielle, fondée sur "la valeur du risque comme principal indicateur de sinistralité". En clair, l'importance d'un risque sera évaluée en fonction des dépenses qu'il génère pour les caisses. Le rapport critiquait ainsi la priorité accordée aux RPS, très peu reconnus, donc faiblement indemnisés. "Les caisses rejettent quasi systématiquement les demandes d'indemnisation pour des pathologies en lien avec des RPS, souligne Olivier Tompa, DS CGT de la branche AT-MP. Et du coup, les RPS ne pèsent rien en termes de sinistralité.""Il y a vingt ans, avec un tel raisonnement, on ne se serait jamais préoccupé du risque amiante", ironise Marc Benoit, délégué syndical CGT de l'Insitut national de recherche et de sécurité (INRS).

Nécessaire reconnaissance

"Dire que la Sécurité sociale ne se préoccupe plus des RPS est dangereux, car c'est considérer qu'ils ne constituent pas un risque professionnel", poursuit-il. Pour Henri Forest, de la CFDT, "il n'est pas illogique que les Carsat délèguent à l'Anact les actions sur l'organisation du travail et les risques psychosociaux. Mais il faut d'abord travailler à faire reconnaître les maladies professionnelles liées aux RPS, car s'il n'y a pas le bras armé de la pénalité, ce n'est pas opérant". Dominique Martin assure que "les RPS restent un objectif important. L'Anact et l'INRS ont des compétences reconnues en la matière, nous souhaitons mieux organiser les coopérations utiles". Traduction par Hervé Lanouzière, directeur général de l'Anact : "Nous réfléchissons aux moyens de relayer l'action des Carsat, par exemple en animant le volet diagnostic ou la formation à la prévention." Mais avec quelles forces ?

L'autre sujet d'actualité à l'Anact est son repositionnement, défini par un groupe tripartite (Etat, agence, partenaires sociaux), qui fait suite à un référé de la Cour des comptes pointant l'éparpillement des missions et les insuffisances de la gouvernance"Le scénario retenu recentre l'Anact sur les conditions de travail. Il insiste sur la nécessité de mieux positionner les Aract dans le réseau et sur le partenariat avec les autres acteurs de la prévention", précise Henri Forest, secrétaire confédéral CFDT en charge des conditions de travail. Si le réseau est sauvé, la traduction de ces évolutions est encore floue pour les salariés. "Le contrat d'objectifs et de performance du réseau Anact qui sera signé avec l'Etat en fin d'année présente encore des incertitudes sur l'évolution des missions, sur les modalités des partenariats institutionnels et sur l'organisation interne", soulignent les DS CFDT de l'Anact. "Les sollicitations croissantes sur la pénibilité et les développements autour de la qualité de vie au travail vont susciter plus d'activité, sans ressources à la hauteur, pointe-t-on à la CGT. Les coopérations avec d'autres institutions aussi."

"Intervenir conjointement"

Plusieurs conventions seraient d'ailleurs dans les tuyaux. "On essaie de nouer des partenariats au niveau national pour optimiser nos actions avec des acteurs relais, indique le directeur général, Hervé Lanouzière. Avec la Cnam, nous avons ainsi un projet dans les services à la personne, pour lequel nous allons solliciter des décideurs économiques. Notre pari dans ce secteur créateur d'emplois : démontrer qu'on améliore son attractivité et sa qualité de service et qu'on baisse sa sinistralité en y améliorant les conditions de travail." De façon générale, concernant la pénibilité, "on peut intervenir conjointement dans les entreprises avec les Carsat pour établir un diagnostic technique et organisationnel, celles-ci étant davantage centrées sur la sinistralité et la prévention secondaire et tertiaire ajoute-t-il. Le directeur des risques professionnels, Dominique Martin, lui fait écho : "Nous avons une légitimité unique dans le domaine de la réparation. Mais dans la prévention, il y a d'autres acteurs, avec lesquels on peut coopérer et ainsi chercher des gains d'efficience Une logique qui pourrait présider à une redistribution des rôles, notamment en matière de risques psychosociaux (voir article ci-dessous). Et qui est ouverte à tous les acteurs du paysage de la prévention, tels les services de santé au travail, qui contractualisent d'ores et déjà avec la Sécu et l'Etat et continuent de s'étoffer.

  • 1

    Structure de dialogue entre dirigeants de la Cnam et syndicats de salariés de la branche.