© Gérard Monico/FNMF

Le destin précaire des jeunes travailleurs

par François Desriaux / juillet 2013

Pour tenter de se faire une place au soleil, les jeunes doivent enchaîner petits boulots et intérim, ou obtenir de haute lutte un stage aussi précieux que peu rémunéré, avant d'avoir peut-être, un jour, l'immense privilège de décrocher un contrat à durée déterminée.

C'est sûr que ce parcours initiatique calme les ardeurs revendicatives des candidats à l'emploi et les conditionne très jeunes aux exigences des entreprises : un engagement personnel "corps et âme". Parfois au prix d'une usure prématurée.

Passe encore si ce chemin de croix permettait d'accéder à un emploi stable. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. Le chômage des jeunes est un fléau. Mais, pour beaucoup d'entre eux, le travail aussi - surtout s'ils ne sont pas diplômés. Aux échecs et aux inégalités scolaires vont succéder des emplois précaires, des conditions de travail plus pénibles et plus éprouvantes pour la santé. Si, de surcroît, celle-ci a été malmenée par des conditions de vie difficiles, il y a peu de chances que le travail joue un rôle bénéfique d'intégration.

Des parcours de santé précaires

par Annie Deveaux médecin du travail Christian Torres médecin du travail / juillet 2013

Il est difficile de dresser un état des lieux sur la santé au travail des jeunes. Mais certains parcours peuvent éclairer sur les écueils auxquels ils sont exposés, de l'usure précoce à la fragilisation d'une santé déjà vulnérable.

Quels constats cliniques un médecin du travail peut-il dresser concernant la santé au travail des jeunes ? Difficile de généraliser, tant les situations et contraintes professionnelles rencontrées aujourd'hui par les jeunes salariés entrant sur le marché du travail sont aussi diverses que variables. Reste la possibilité de donner en exemples les parcours de certains d'entre eux, retracés à l'occasion de consultations médicales. Des récits emblématiques de ce qui se joue au travail pour de nombreux jeunes actifs, en termes de santé.

Comme pour Sylvie. Celle-ci a découvert "le social" après le baccalauréat, en effectuant des remplacements sur un poste d'éducatrice dans un foyer d'adultes handicapés. Après son diplôme d'assistante sociale, elle est recrutée à 27 ans pour travailler à trois quarts temps dans un service d'aide à domicile. Elle est chargée d'évaluer les besoins des personnes âgées aidées, puis de s'occuper du planning du personnel. Payée à temps partiel, elle travaille parfois jusqu'à 21 heures, afin de pouvoir gérer l'activité de sa collègue en arrêt maladie. Et cela sans soutien de sa hiérarchie, laquelle modifie les tournées des aides à domicile à la dernière minute, au mépris des horaires légaux et des délais de prévenance. Sylvie va tenir un an avant de s'effondrer, comme deux de ses collègues avant elle : épuisement, syndrome anxio-dépressif. Elle est mise en inaptitude médicale.

Il s'agit pourtant d'un métier qu'elle a choisi, intéressant, dans un secteur où il existe une réelle demande sociale. Mais les financements insuffisants et le refus du management de prendre en compte les espaces de discussion nécessaires aux ajustements en termes d'organisation du travail des aides à domicile, à la réalisation d'un travail de qualité, auront raison de sa vocation. A 31 ans, Sylvie quitte la profession, pour ne pas sombrer et préserver sa vie familiale.

Manque de moyens

Combien de jeunes femmes connaissent le même sort ? Après une formation dans le domaine du soin, elles entrent dans la vie active au sein d'un établissement du secteur sanitaire et social, où, souvent, les moyens nécessaires à l'exercice de leur activité sont très nettement insuffisants. Ce qu'elles compensent par des heures supplémentaires, en prenant des risques qui engagent leur santé. Pour finir souvent par quitter une profession très investie, afin de se protéger ou préserver leur vie familiale.

Le cas de Gérard n'est pas si différent. Après une scolarité perturbée par la maladie, il choisit de devenir boulanger et suit une formation en alternance. CAP et brevet professionnel en poche, il travaille quelques années comme ouvrier, puis succède à son dernier patron, à 29 ans. Le travail est intense, les horaires sont difficiles. Déjà, des poussées d'eczéma sur les avant-bras, occasionnées par le stress, apparaissent. S'agit-il de manifestations allergiques annonciatrices d'un asthme aux farines, une pathologie professionnelle qui contraint nombre de boulangers à changer de métier ?

Même s'ils résultent parfois d'une orientation scolaire par défaut, les parcours de formation en alternance à des métiers manuels suivis par de nombreux jeunes adultes, des hommes généralement, peuvent s'avérer vertueux et leur permettre de se construire au travail. Mais c'est souvent au prix d'un engagement important du corps, principal outil de travail, au risque d'une usure prématurée.

Reste le cas de Kévin. A 21 ans, il vient d'être embauché dans une entreprise du textile, comme électrotechnicien au service maintenance. Examiné quelques jours après sa prise de fonction, il s'exprime peu ; le signal sonore de son téléphone mobile qui indique l'arrivée de SMS ponctue la consultation... Six mois après cet examen, son employeur signale que Kévin a une attitude bizarre. Il s'inquiète d'une éventuelle toxicomanie qui serait à l'origine de ce comportement et demande à ce que le jeune salarié passe une visite médicale.

Cette fois-ci, la tonalité de la consultation est tout autre. Kévin en a marre de son chef, qui lui "prend la tête". Il raconte que, peu de temps après son arrivée, il s'est retrouvé seul technicien dans l'équipe maintenance. Un de ses collègues a été victime d'un accident du travail et n'a toujours pas repris, l'autre a démissionné. Il doit donc assurer le bon fonctionnement des réseaux électriques de l'entreprise sans avoir pu bénéficier de l'expérience de ses collègues. Quant à la documentation sur les réseaux, qui pourrait l'aider, il y a bien longtemps qu'elle n'a pas été mise à jour. Il doit donc quelquefois intervenir "en aveugle" sur des circuits électriques, ce qui a déjà provoqué une panne générale dans un atelier.

Ses conditions de travail se sont dégradées, ses horaires sont de plus en plus longs et imprévisibles, ce qui a des conséquences sur sa vie personnelle. Il a dû arrêter le sport, on lui reproche d'être moins disponible. Kévin aimerait bien démissionner, mais, avec le chômage actuel, il doit tenir. Il ajoute : "Ils ont aussi besoin de moi." Lorsque le sujet d'une éventuelle toxicomanie est abordé, il admet une consommation régulière de cannabis, y compris sur le lieu de travail. Cette consommation a débuté au collège, parfois associée à des prises d'alcool fort. Depuis, il n'a pas cessé de fumer.

Risque de décompensation

Pour de nombreux jeunes, le collège constitue une expérience éprouvante, au cours de laquelle ils découvrent que leurs chances de promotion sociale sont bien réduites. Quand s'y ajoutent d'éventuelles difficultés rencontrées par les parents (chômage, maltraitance au travail, maladie...), les adolescents peuvent facilement basculer, adopter des comportements à risque pour leur santé. Des comportements qui peuvent se poursuivre jusqu'à l'entrée dans la vie active.

Lorsque ces jeunes arrivent, avec de telles fragilités, dans un milieu du travail dégradé, le mélange peut s'avérer explosif. Le risque qu'ils décompensent est accru. Ils s'isolent, se replient, peuvent se montrer agressifs ou violents, augmenter leur consommation de substances psychoactives... Si, par chance, ils rencontrent dans leur milieu professionnel des responsables attentifs, qui font preuve d'autorité mais restent soucieux de leur santé, une dynamique d'accompagnement peut débuter qui leur permet souvent de sortir de crises susceptibles d'engager leur vie d'adulte.

Le travail peut avoir, lui aussi, un effet bénéfique sur ces jeunes, même dans un contexte dégradé. Dans le cas de Kévin, ce dernier est découragé par ses conditions de travail, tout en étant fier de pouvoir assurer seul la maintenance électrique de l'entreprise. Il est ainsi sensible au fait d'avoir été en mesure d'améliorer l'éclairage d'un atelier où des ouvriers "s'abîmaient les yeux". Son travail l'a rendu attentif aux plaintes de ses collègues, à leurs besoins. Il y a là l'amorce d'une dynamique de maturation, porteuse de santé. Malheureusement, on peut craindre que cette dynamique ne soit vite asphyxiée par des conditions de travail délétères, qui, dans la durée, empêchent le développement de l'expérience, l'accès au statut d'adulte ainsi que la construction de la santé.