Pas de délai de latence pour les maladies professionnelles

par Milène Leroy / octobre 2009

Exiger, pour la reconnaissance en maladie professionnelle d'un cancer, un délai de latence minimum entre l'exposition au risque et l'apparition de la maladie a été jugé illégal par le Conseil d'Etat. Une victoire pour les victimes.

Retoqué ! Le 1er juillet dernier, le Conseil d'Etat a jugé illégal le décret du 13 décembre 2007 créant le tableau de maladies professionnelles n° 61 bis sur les cancers broncho-pulmonaires provoqués par l'inhalation de poussières ou de fumées renfermant du cadmium. L'annulation prononcée par le Conseil d'Etat a porté sur l'exigence d'" un temps écoulé depuis le début de l'exposition de vingt ans ". Ce tableau comportait en effet un critère jusqu'alors inexistant dans la loi : le temps de latence. Soit l'exigence d'un délai minimum entre le début d'une exposition et la première constatation de la maladie.

L'argumentaire de Me Hélène Masse-Dessen, avocate devant le Conseil d'Etat des syndicats CFDT, CGT, CFE-CGC, CGT-FO, CFTC et de la Fnath, Association des accidentés de la vie, l'a rappelé : " Le tableau ne peut comprendre que des conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux. " Sans oublier la désignation de la maladie. Des conditions énumérées dans les articles L. 461-1 et 2 du Code de la Sécurité sociale.

Enjeux multiples. Sur le délai de latence, les syndicats et la Fnath ont fait front commun dès le début. L'enjeu n'était pas mince : il s'agissait d'empêcher que les maladies à effets retardés, dont les cancers professionnels, se voient attribuer cette condition par la jurisprudence. Cela aurait rendu leur reconnaissance en maladies professionnelles plus difficile, alors que le délai de latence " n'apporte pas d'élément important pour caractériser le lien entre l'exposition et la maladie ", selon le Pr François Guillon, responsable de l'unité de pathologies professionnelles du centre hospitalier universitaire Avicenne, à Bobigny (Seine-Daint-Denis). Ce délai risquait également d'affaiblir la présomption d'imputabilité, principe sur lequel est fondée la réparation des atteintes liées au travail. La loi considère en effet que, si les conditions énumérées dans l'article L. 461-2 sont réunies, la pathologie est présumée d'origine professionnelle.

Enfin, le temps de latence est difficile à déterminer, de l'aveu même du Pr Jacques Ameille, clinicien au département de pathologies professionnelles de l'hôpital Raymond-Poincaré, à Garches (Hauts-de-Seine), et rapporteur de la Commission des maladies professionnelles1 sur le tableau n° 61 bis. Lors de la réunion de la Commission du 30 mars 2006, ce dernier avait proposé qu'" un temps écoulé minimum entre le début d'exposition et la survenue de la maladie soit fixé à vingt ans ", tout en ajoutant qu'il lui paraissait concevable qu'il " soit plus faible "

Si pour le tableau n° 61 bis le danger est écarté, la vigilance est de rigueur. Lors de la révision du tableau n° 43 concernant les atteintes liées au formaldéhyde, le rapport de l'Institut de veille sanitaire (InVS) a évoqué " ce principe comme s'il était constitutif du tableau au même titre que la durée d'exposition ou le délai de prise en charge ", souligne le Pr François Guillon.

  • 1

    Désormais intégrée au Conseil d'orientation sur les conditions de travail (voir Santé & Travail n° 67, juillet 2009, page 16), cette commission réunit patronat et syndicats sur la révision ou la création de tableaux de maladies professionnelles.