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Patronat et syndicats tâtonnent sur le financement de la prévention

par Joëlle Maraschin / 17 novembre 2022

Y aura-t-il un accord à Noël entre les partenaires sociaux pour gérer différemment la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la Sécu ? Rien n’est moins sûr, car les approches des protagonistes diffèrent, notamment sur l’utilisation de l’excédent financier.

C’est le Medef qui a pris l’initiative de réunir les partenaires sociaux pour discuter de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). Cette concertation, initiée début juillet, est conduite dans le cadre du nouvel accord national interprofessionnel (ANI) d’avril 2022 sur la « modernisation » du paritarisme. Première ambition affichée par le Medef : mettre en place un organisme de gestion paritaire et autonome des ressources de la branche.
Une commission paritaire AT-MP (CATMP), instance de gouvernance de l’Assurance maladie-Risques professionnels à qui il revient de fixer orientations et budgets, existe déjà. « Dans les faits, la direction des risques professionnels de la Sécurité sociale conserve la main sur le dispositif », observe Jérôme Vivenza pour la CGT. Sans écarter de possibles points de convergence avec les représentants des employeurs pour un pilotage paritaire, le syndicaliste plaide pour une présidence alternée de la CATMP, qui est pour le moment patronale. Rappelant qu’il existe déjà un accord de 2006 sur la gouvernance, Eric Gautron de FO se montre réservé sur l’autonomie prônée par les employeurs, craignant que ce soit l’occasion de « sortir » la branche AT-MP de la Sécu.
L’ensemble des confédérations syndicales ont fait savoir qu’elles sont attachées à son maintien dans le giron de l’Assurance maladie. « L’objectif de cette concertation ne doit pas se limiter à la gouvernance. La finalité est avant tout d’améliorer la prévention des risques professionnels et la réparation », souligne Mireille Dispot pour la CFE-CGC. Si la gouvernance semble être la priorité du patronat, les partenaires sociaux ont aussi convenu de discuter de la prévention, la réparation et la tarification.

Coût de la sous-déclaration

La branche AT-MP affiche une santé financière exceptionnelle. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), discuté depuis fin octobre au titre de l’article 49-3, prévoit un excédent de 2,2 milliards d’euros en 2023. Le dernier rapport de la commission pluridisciplinaire présidée par un magistrat de la Cour des comptes évalue entre 1,2 et 2,1 milliards d'euros le coût de la sous-déclaration des AT-MP pour la branche maladie de la Sécu. Le montant qui lui sera transféré a été fixé à 1,2 milliards d’euros par le PLFSS 2023. C’est ainsi le minimum de l’estimation qui a été retenu par le gouvernement pour compenser la sous-déclaration. « Ce chiffre est d’autant plus faible que la fourchette est déjà sous-évaluée. Elle ne tient notamment pas compte des pathologies liées aux risques psychosociaux », pointe la CFE-CGC.
Selon un rapport du Sénat, les excédents cumulés de la branche AT-MP devraient atteindre plus de 5 milliards d'euros en 2022. Tout en proposant un renforcement des dépenses de prévention, les sénateurs ont par ailleurs suggéré une diminution des cotisations versées par les employeurs. Une ligne rouge pour les syndicats. « Cette baisse des cotisations n’a pas, pour l’instant, été mise sur la table même si une organisation patronale l’a évoquée, s’agissant des entreprises engagées dans la prévention », précise Jérôme Vivenza. Eric Gautron est tout aussi prudent sur les intentions des employeurs, lesquels ne manquent pas de dénoncer régulièrement le transfert vers la branche maladie au nom d’une « prétendue sous-déclaration ».

« Diagnostic partagé » en vue ?

Reste à savoir ce qu’il sera fait de ce trésor de guerre. Pour la CFDT, la négociation à venir doit permettre de redéfinir la part du budget apte à soutenir les ambitions de l’ANI du 9 décembre 2020 en matière de prévention. En 2018, les partenaires sociaux s’était déjà fendu d’un communiqué commun pour demander l’augmentation des investissements de la branche dans les actions de prévention.
Le calendrier fixé par le Medef touche à sa fin, il ne reste que deux réunions programmées en décembre. Mi-novembre, les auditions des experts étaient achevées et les protagonistes planchaient sur un « diagnostic partagé » concernant le modèle de gouvernance et la gestion des fonds, plus précisément des excédents de la branche dont personne n’est en mesure de savoir précisément ce qu’ils deviennent. « Nous ne savons pas si le patronat souhaite ouvrir par la suite une véritable négociation », résume le représentant de la CGT.
Les organisations syndicales n’y sont pas opposées, mais elles entendent débattre des sujets qui leur paraissent essentiels : la sous-déclaration des accidents du travail, l’inscription des maladies psychiques liées au travail dans les tableaux de maladies professionnelles, la révision des tarifications forfaitaires dans des secteurs à forte sinistralité comme les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)… Et les attentes ne sont pas les mêmes des deux côtés de la table. En somme, des discussions qui ressemblent plus pour le moment à une prise de température avant de peut-être négocier sur le fond.