Pénibilité : 200 000 salariés passés à la trappe
L’éviction de quatre facteurs de risque du compte pénibilité par les ordonnances travail de 2017 s’est traduite par une diminution importante du nombre de salariés bénéficiaires. C’est un des enseignements de l’étude réalisée par Ida Falinower, statisticienne pour la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), qui propose une photographie des métiers les plus concernés. Entretien.
Votre note présentée en mars dernier au Conseil d’orientation des retraites dresse le portait des salariés ayant bénéficié du compte professionnel de prévention (C2P) entre 2015 et 2021. Quels sont ceux qui ont été exclus du dispositif depuis la suppression de quatre facteurs de risque en 2017 ?
Ida Falinower : En 2019, après cette suppression, près de 700 000 salariés étaient déclarés exposés dans le cadre du C2P, contre près de 900 000 salariés en 2016. Entre 2015 et 2017, 371 000 salariés ont été exposés à au moins l’un des quatre risques supprimés. En 2016, 220 000 hommes et 41 000 femmes l'ont été à un de ces risques. Ces salariés étaient pour 55 % d’entre eux exposés à la manutention manuelle de charges lourdes, 36 % aux postures pénibles, 20 % aux vibrations mécaniques et 18 % aux agents chimiques dangereux. Les ouvriers du bâtiment, mécaniciens, routiers, livreurs, coursiers, conducteurs d'engins lourds de levage et de manœuvre, manutentionnaires sont surreprésentés chez les hommes. Pour les femmes, ce sont surtout des vendeuses en ameublement ou en alimentation, magasinières, aides de cuisine, manutentionnaires, coiffeuses, manucures, esthéticiennes, aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales, employées de l’hôtellerie et de la restauration. Ces 261 000 salariés de 2016 n’ont pas tous été sortis du C2P puisque, parmi eux, 100 000 étaient aussi exposés à l’un des six risques toujours pris en compte dans le dispositif.
La réforme des retraites de 2023 prévoit d’améliorer l’acquisition de points pour le C2P en cas d'expositions multiples. Quel a été l’impact de la disparition des quatre facteurs sur le nombre de travailleurs déclarés comme polyexposés ?
I. F. : Les salariés exposés à l’un des facteurs supprimés étaient aussi ceux les plus concernés par la polyexposition. En moyenne ils étaient exposés à 1,8 risque en 2016 contre 1,1 risque pour les non exposés à l’un des risques supprimés. Le nombre de salariés exposés à plusieurs facteurs de pénibilité a été divisé par deux entre 2016 et 2019 : il représentait 19 % des salariés exposés en 2016 et ne concerne plus que 9 % de ces derniers en 2019, soit 64 000 individus. Auparavant, une personne qui travaillait la nuit et effectuait des manutentions manuelles de charges lourdes était considérée comme polyexposée. Aujourd’hui, elle fait le même métier mais elle est déclarée comme exposée à un seul facteur de risque. Il y a aussi moins de polyexpositions avec six facteurs qu'avec dix, puisque le nombre de combinaisons possibles diminue. Précisons que s’agissant du travail de nuit et du travail en équipes successives alternantes, deux risques maintenus, le dispositif ne prévoit pas de polyexposition pour les personnes qui y sont exposés en même temps.
Le profil des salariés pour lesquels un compte C2P a été ouvert a-t-il changé ?
I. F. : Le profil des salariés exposés en 2019 reste globalement similaire à celui de 2016 malgré la suppression de quatre risques. Dans l’ensemble, les facteurs de pénibilité les plus fréquemment déclarés en 2019 sont, comme en 2016, ceux associés aux rythmes de travail. En 2019, les hommes représentent 77 % des salariés déclarés exposés. Les risques les plus fréquents sont le travail en équipes successives alternantes (226 000 hommes) et le travail de nuit (211 000 hommes). Parmi les femmes, les facteurs de pénibilité les plus souvent rencontrés sont de loin le travail de nuit (75 000 femmes) et répétitif (43 000 femmes), puis le travail en équipes successives alternantes (35 000 femmes). Les salariés concernés sont en majorité des ouvriers, 70 % pour les hommes et 51 % pour les femmes. Le secteur de l’industrie manufacturière est celui qui comprend à la fois le plus de salariés déclarés exposés et les taux les plus élevés de personnes exposées.
Vous évoquez dans votre présentation une expérimentation menée par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Bretagne pour promouvoir le C2P. Pour quelle raison cette action a-t-elle été mise en place ?
I. F. : Une étude a été menée par la Carsat Bretagne auprès d’assurés bretons partis en retraite en 2021. Elle a mis en lumière que, parmi les personnes pouvant transformer leurs « points C2P » en trimestre, cela ne génère pas systématiquement de droits à la retraite supplémentaires. C’est par exemple le cas des salariés qui peuvent prétendre au dispositif de retraite anticipée pour carrière longue. Ils ont déjà acquis pendant leur vie professionnelle le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier du dispositif, sans avoir à mobiliser les points qu’ils ont engrangés pour compenser leur exposition à la pénibilité. C’est aussi ce qu’a démontré statistiquement ma collègue Romane Beaufort : l’inutilité des trimestres acquis par le C2P dans certaines situations (voir encadré).
En lien avec des entreprises volontaires, la Carsat a accompagné les salariés disposant de points et âgés d’au moins 57 ans. Le dispositif est encore peu connu, et les personnes ne savent pas que les points peuvent servir pour de la formation ou une baisse du temps de travail sans perte de salaire. Dans certaines entreprises, l’organisation ne permet pas toujours d’intégrer du travail à temps partiel. En proposant une modulation du temps partiel compatible avec l’activité, cette action de la Carsat a davantage mobilisé les comptes sur la réduction du temps de travail.