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« La pénibilité doit être au cœur de la réforme des retraites »

entretien avec Nathalie Havet, maîtresse de conférences en économétrie, microéconomie et économie de la santé, université Lyon 1
par Catherine Abou El Khair / 21 septembre 2022

Coautrice d’une étude récemment publiée par le ministère du Travail sur la pénibilité du travail, Nathalie Havet explique comment celle-ci aggrave les inégalités sociales de santé dont sont victimes les ouvriers. Une réalité qui devrait être mieux prise en compte par les politiques publiques.

Comment l’exposition aux différents facteurs de pénibilité au travail a-t-elle évolué ?
Nathalie Havet :
En 2017, 61 % des salariés étaient exposés à au moins un facteur de pénibilité. Si cette proportion a décru par rapport à 2010, le bilan est inégal selon les risques. Entre 2003 et 2017, on constate une baisse de 6 points des expositions aux environnements physiques agressifs, tels que le bruit, les nuisances thermiques et les produits cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Le port de charges lourdes sur une durée supérieure à dix heures par semaine a également diminué. En revanche, la fréquence des postures pénibles, telles que les positions à genoux, accroupies ou en torsion, a augmenté. Alors qu’elles sont globalement moins exposées à la pénibilité physique, les femmes sont surexposées à ce risque, lié à leur présence dans les services ou le secteur médico-social.

Vous constatez des inégalités sociales importantes face à ces risques…
N. H. : Les expositions aux facteurs de pénibilité ont diminué plus rapidement chez les cadres que chez les ouvriers, accroissant les écarts entre ces deux catégories socioprofessionnelles. Les ouvriers sont 2,5 fois plus exposés aux agents CMR en milieu professionnel et 7 à 8 fois plus concernés par les bruits élevés. Ils sont davantage touchés par les postures pénibles, les vibrations mécaniques, le travail de nuit, les charges lourdes...

Quel est l’impact de ces facteurs de pénibilité sur la santé des ouvriers ?
N. H. : On sait que ces expositions dégradent la santé, en augmentant les risques de cancer et en diminuant l’espérance de vie. A cela s’ajoutent d’autres inégalités de santé défavorables aux ouvriers, tels qu’une consommation accrue de tabac, d’alcool, ou une mauvaise alimentation dans la vie quotidienne.
On constate par ailleurs et de manière générale dans notre étude des associations fortes, à court terme, entre l’exposition à certains facteurs de pénibilité et l’absentéisme. Les postures pénibles, le port répété de charges lourdes ainsi que les vibrations mécaniques entraînent un risque accru de recours, dans l’année, aux arrêts maladie. Les risques psychosociaux, comme le manque d’autonomie ou de soutien, ont également un impact majeur sur l’état de santé perçu, les arrêts maladie comme les accidents du travail.

Au vu de ces constats, pensez-vous que les dispositifs de prévention actuels sont adaptés ?
N. H. : Les règlementations concernant les produits CMR ou les nuisances sonores semblent avoir porté leurs fruits de manière générale en termes de réduction des expositions à ces risques professionnels. Elles ont en effet permis d’aboutir à des changements profonds dans les procédés de fabrication des entreprises. Mais, malgré ces progrès, les plans santé-travail échouent encore à faire baisser le nombre d’accidents du travail depuis dix ans, car ils butent notamment sur la hausse des risques psychosociaux. Cette tendance est particulièrement inquiétante. Par ailleurs, ces plans ont peu amélioré les conditions de travail des salariés des petites entreprises.

Comment aller plus loin ?
N. H. : Les ouvriers, qui sont plus exposés à la majorité des facteurs de pénibilité, doivent être une cible prioritaire des politiques publiques. Plus globalement, il est indispensable d’améliorer et de systématiser la prévention dans les entreprises. Au-delà des pouvoirs publics et des employeurs, d’autres acteurs doivent s’emparer de la question, pour par exemple imaginer de nouvelles solutions techniques réduisant la pénibilité des métiers, ou pour favoriser davantage la culture de la prévention, comme le font par exemple les assureurs.

Retarder l’âge du départ à la retraite a-t-il du sens dans un tel contexte ?
N. H. :
La pénibilité doit être au cœur de la réforme des retraites, et ce, dans l’ensemble de ses dimensions. Aujourd’hui, on sait que le fait d’avoir été exposé de manière répétée à la pénibilité a des impacts sur la santé. Si l’on veut avoir davantage de seniors au travail, il va falloir tenir compte de l’usure professionnelle.