Pénibilité et retraite : les réponses variées de l’Europe
La prise en compte de la pénibilité du travail par la retraite fait l’objet de différents dispositifs au sein des pays européens. A partir de l’activité exercée, des conditions de travail ou des effets sur la santé, ils offrent une porte de sortie plutôt limitée.
La réforme des retraites engagée par le gouvernement français soulève de vifs débats. Et la prise en compte de la pénibilité du travail en est l’un des points d’achoppement. En quoi le relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite percute- t-il les dispositions existantes sur le sujet ? En quoi les propositions figurant dans le texte final répondent-elles aux enjeux de compensation mais aussi de prévention des effets du travail sur la santé ? Pour éclairer ces questions, il est utile de changer de perspective et de voir comment d’autres pays européens ont entrepris de compenser la pénibilité du travail.
Tout d’abord, il faut rappeler que quelques pays n’ont aucun dispositif national ouvrant le départ à la retraite à un âge plus précoce que l’âge de référence. C’est le cas de la Suède et du Royaume-Uni, mais aussi de l’Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas pour le secteur privé. Des conventions collectives ou des accords de branche ou d’entreprise y proposent toutefois des possibilités d’aménagement des conditions de travail, ou de réduction du temps de travail en fin de carrière pour certains types de postes.
Deux cas de figure
En revanche, d’autres pays ont mis en place des dispositifs nationaux de retraite anticipée, avec deux cas de figure. Le premier regroupe des dispositifs définis à partir d’une liste de conditions de travail (Finlande), ou d’une liste de métiers, professions, activités (Belgique pour la fonction publique), ou encore d’un mélange des deux (Autriche). Le second concerne des dispositifs mixtes qui combinent une des listes citées précédemment et une référence plus ou moins précise aux effets du travail sur la santé, l’espérance de vie en bonne santé, la capacité à rester en emploi, ou encore la mortalité, comme en France, en Italie, en Pologne, au Portugal et en Espagne.
Trois types de conditions de travail sont le plus souvent retenus : l’environnement (bruit, chaleur, froid…), sur lequel il existe un consensus ; les rythmes (travail de nuit notamment) ; les contraintes physiques. Dans plusieurs pays, les conditions de travail prises en compte vont au-delà de celles retenues en France, notamment sur les contraintes physiques (vibrations, postures), l’exposition à des substances chimiques et la charge de travail mentale et émotionnelle.
La délimitation des métiers considérés comme pénibles est variable : des listes détaillées existent en Pologne et en Autriche ; leur nombre est assez limité en Espagne et au Portugal. Les marins, marins pêcheurs, mineurs et travailleurs des carrières sont présents dans quasiment tous les dispositifs. D’autres métiers ou professions sont fréquemment mentionnés : pilote d’avion et contrôleur aérien, conducteur de train, plongeur, pompier. Ou encore les danseurs et danseuses en Espagne, en Pologne et au Portugal (en France, seul existe le régime spécial pour l’Opéra de Paris). Certaines activités apparaissent rarement : l’enseignement dans des centres pour la jeunesse difficile et le travail dans des équipes de sauvetage en Pologne ; les artistes de cirque en Espagne.
« Carrière de travail » en Finlande
L’un des dispositifs les plus récents est la retraite anticipée pour « carrière de travail » en Finlande, accessible depuis 2018 aux salariés et aux travailleurs indépendants, à partir de 63 ans. Elle fait partie d’un accord conclu en 2014 entre les confédérations des employeurs privés et publics et deux des trois confédérations des salariés sur une série de réformes concernant les retraites. L’accord en question relève l’âge minimal d’ouverture des droits à pension de retraite d’un trimestre par an : cet âge passe de 63 à 65 ans en 2027 pour les personnes nées entre 1962 et 1964. L’âge de la retraite anticipée pour « carrière de travail » suit l’augmentation de l’âge minimal, en lui restant inférieur de deux ans.
Ce dispositif, qui monte en charge, donne lieu à très peu de départs anticipés. Les conditions de travail qu’il prend en considération, actuelles et si possible passées, incluent : des positions pénibles ou difficiles ; un travail interactif particulièrement exigeant, demandant un effort exceptionnel ; une activité nécessitant d’être sur ses gardes ou particulièrement vigilant et comportant des risques élevés ou la menace de violences. Si l’une de ces conditions de travail est avérée, trois autres facteurs de risque peuvent être pris en compte, dont l’utilisation d’équipements de protection qui ajoutent à l’effort de travail et de longues journées de travail répétées.
« Travail lourd » en Autriche
Autre exemple intéressant : celui de la retraite anticipée pour « travail lourd » en Autriche. Créée en 2007, elle vise à compenser l’espérance de vie réduite de certains groupes professionnels, à créer une voie de sortie directe de l’emploi vers la retraite pour les travailleurs exposés et à récompenser l’exercice d’activités professionnelles dangereuses ou lourdes de conséquences pour la santé. La liste des conditions de travail prises en compte couvre les mêmes éléments qu’en France mais en inclut d’autres : la disponibilité pendant la nuit, les substances nocives, les vibrations et la pratique de soins ou de traitements particuliers (maisons de retraite ou soins palliatifs). Si la durée d’exercice est peu sélective, les quarante-cinq années de cotisation requises assimilent ce dispositif à la retraite anticipée pour carrière longue existant en France.
Les dispositifs de départ anticipé à la retraite en raison de la pénibilité dans les Etats européens demeurent hétérogènes. La combinaison des critères de délimitation de la pénibilité et des autres conditions d’éligibilité (durée d’activité, durée de cotisation, critère médical, activité en cours ou récente dans des conditions reconnues comme pénibles ou usantes) tend à en restreindre l’accès. Lorsque le nombre de personnes qui en bénéficient est disponible, il s’avère soit modéré (en 2021, 8 500 personnes en Autriche), soit très faible (84 personnes en Finlande). En France, les départs en retraite anticipé grâce au compte professionnel de prévention (C2P) n’ont concerné qu’un peu plus de 1 000 personnes en 2021.