Pénibilité : des négociations en pleine confusion

par Alexandre Kas / avril 2008

Les partenaires sociaux arriveront-ils à un accord sur la pénibilité au travail ? Depuis trois ans, la négociation butte sur la cessation anticipée d'activité des travailleurs usés et la valse-hésitation des employeurs, qui en redoutent le coût.

Les partenaires sociaux auront étiré la négociation sur la pénibilité jusqu'au bout du bout. Alors que la réunion du 25 mars était annoncée comme " conclusive ", ils ont finalement décidé de s'accorder un délai supplémentaire et de se retrouver le 21 avril. Une séance de la dernière chance, dans la mesure où le gouvernement doit lancer au deuxième trimestre une concertation sur les retraites et qu'il a manifesté son intention de reprendre alors la main sur le dossier de la pénibilité au travail. D'ailleurs, Xavier Bertrand, ministre du Travail et de la Solidarité, ne manque jamais une occasion de rappeler combien ce dossier lui tient à coeur, puisque c'est lui, encore député, qui fut à l'initiative de l'amendement invitant syndicats et patronat à négocier sur la pénibilité, lors du débat sur la loi de 2003 réformant les retraites.

 

Responsabiliser l'entreprise

 

Rarement négociation aura été aussi chaotique. Ouverte seulement en février 2005, elle est suspendue en mars 2006 par les employeurs. Elle repart en avril 2007, après notamment des journées de mobilisation de la CFDT et de la CGT, ainsi que la proposition émise par Gérard Larcher, alors ministre du Travail, d'une mission d'appui de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). En fait, dès le départ, les discussions achoppent sur l'instauration d'un mécanisme dit " de réparation ". Pour les syndicats, le leitmotiv de la réforme de 2003 - le recul de l'âge de départ effectif à la retraite - implique une action préventive de réduction des postes les plus durs, mais on ne peut passer sous silence le cas des travailleurs usés qui, statistiquement, profiteront de leur retraite bien moins longtemps que les autres. Et de rappeler les écarts d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles. Conclusion : il n'est que justice sociale que les salariés soumis à des tâches pénibles puissent partir plus tôt.

Un " droit à la cessation anticipée d'activité " dont le patronat ne veut pas entendre parler, ou plus exactement qu'il ne veut pas financer. Car il va de soi, pour les organisations de salariés, que l'entreprise doit mettre la main à la poche si l'on veut la responsabiliser. " Sans réparation, le discours sur la prévention est vide de sens. On a vu pour l'emploi des seniors que l'absence de pénalisation financière conduisait à l'échec ", justifie Jean-Christophe Le Duigou, de la CGT. Mais " tout ce qui augmente le coût du travail dans notre pays pèse sur l'emploi ", ne cesse de rappeler le négociateur patronal d'alors, Denis Gautier-Sauvagnac. Bref, les entrepreneurs n'envisagent tout au plus qu'un redéploiement des sommes consacrées aux dispositifs actuels.

Cela dit, la position patronale va évoluer à l'été 2007. Le nouveau texte qu'elle propose à la rentrée évoque effectivement des " possibilités de convergence autour de la mise au point d'un cadre collectif de réparation de la pénibilité " et " les conditions d'accès au droit à une cessation anticipée d'activité ". Parmi ces dernières figure l'exposition à trois facteurs principaux de pénibilité - " des contraintes physiques et psychiques marquées (efforts, postures, gestes...), un environnement agressif, certains rythmes de travail " -, qui renvoient à la définition donnée en 2003 par Yves Struillou dans son rapport Pénibilité et retraite

Mais la proposition patronale pose également une condition à l'accès à la retraite anticipée : l'examen individuel d'une commission, composée notamment de médecins qui seraient chargés d'apprécier " l'existence de traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé du salarié ". Un garde-fou indispensable, selon le Medef, afin d'éviter une dérive financière du dispositif. Autrement dit, pas question d'établir une corrélation automatique entre exposition à des tâches pénibles et départ précoce. Point de vue que réfutent totalement les syndicats, qui dénoncent un mélange des genres entre pénibilité et invalidité. " D'accord pour une vérification au cas par cas des conditions d'exposition, mais nous refusons une approche médicalisée. Un ouvrier peut être en très bonne santé à 58 ans, ce qui n'empêche pas pour autant que son espérance de vie est inférieure de sept ans à celle d'un cadre ", confirme Jean-Louis Malys, de la CFDT. On retrouve là les mêmes lignes de fracture que pour la réforme de la préretraite amiante (voir à ce sujet Santé & Travail n° 60, octobre 2007, page 14).

 

Aménagement des fins de carrière plutôt que préretraite

 

Toutefois, le débat n'ira pas très loin, car Denis Gautier-Sauvagnac, président et délégué général de l'UIMM (fédération de la métallurgie), mis en cause par la justice pour des retraits suspects d'argent des caisses de son organisation, est obligé de se retirer de la négociation. Les premiers pas de son remplaçant, François-Xavier Clédat, président de Spie Batignolles, douchent rapidement les espoirs suscités par le texte de septembre. Les nouvelles propositions, présentées le 6 février 2008, relativisent la composante pénibilité dans les écarts d'espérance de vie. En effet, elles mettent en avant le fait que toutes les études " montrent l'existence d'autres facteurs liés au mode de vie dans ses multiples dimensions sociales et personnelles : nutrition, état sanitaire de l'environnement, éducation, accès aux soins, accidents, expositions à des pollutions, etc. " Et la porte entrouverte sur la préretraite est rapidement fermée. Désormais, les employeurs envisagent uniquement un aménagement des fins de carrière, notamment par le recours au temps partiel.

Tollé du côté des syndicats, qui déplorent, à l'instar de Danièle Karniewicz (CFE-CGC), " un recul majeur " de la délégation patronale. D'autant plus que la négociation sur le volet prévention piétine. Le texte remis le 23 janvier 2008 renvoie pour l'essentiel à l'accord signé en mars 2007 sur la prévention des risques professionnels, ainsi qu'aux thèmes de négociation issus de la conférence sur les conditions de travail du 4 octobre. " Depuis le début [2005], les employeurs font un rejet de la notion même de pénibilité dans les entreprises, renvoyant le dossier à la branche accidents du travail-maladies professionnelles et s'arc-boutant sur les principes du financement de la réparation ", dénonce la délégation Force ouvrière, conduite par Michèle Biaggi.

 

Retour à la case départ

 

Plus que jamais, les syndicats s'interrogent sur la volonté réelle du Medef d'aboutir à un accord. Et les toutes dernières évolutions du dossier ne peuvent que renforcer ce questionnement. Certes, François-Xavier Clédat a de nouveau envisagé, début mars, la possibilité de départs anticipés pour certains salariés, mais il a surtout proposé une nouvelle méthode de travail, consistant à demander à l'Igas de " définir les conditions d'accès au dispositif, déterminer les facteurs de pénibilité, puis évaluer les populations concernées, et enfin chiffrer le coût du dispositif ". Au grand dam des syndicats, qui ont l'impression de revenir à la case départ mais ne peuvent prendre la responsabilité d'un échec de la négociation.

Alors, comme l'analyse le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, le Medef joue-t-il la montre " en espérant que la reconnaissance de la pénibilité soit traitée dans le cadre de la solidarité nationale " ? Ce serait une bien mauvaise stratégie, explique-t-on dans l'entourage du ministre du Travail, sachant que le gouvernement doit confirmer, lors du rendez-vous de 2008 sur les retraites, un nouvel allongement à 41 ans de la durée de cotisation pour obtenir une pension à taux plein, mais qu'il entend aussi à cette occasion aborder l'avenir du dispositif dit " des carrières longues ", extrêmement coûteux pour les régimes de retraite. y