Denis Garnier :" Le personnel hospitalier vit un conflit éthique "

par Martine Rossard / janvier 2012

Denis Garnier. Syndicaliste FO dans la fonction publique hospitalière, il vient de publier un livre, L'hôpital disloqué, où il décrit et dénonce les effets des nouveaux modes d'organisation du travail sur la santé des soignants.

Vous dénoncez un mal-être dans les établissements hospitaliers. Comment se caractérise-t-il ?

Denis Garnier : Les personnels vivent un conflit éthique entre les exigences imposées par l'hôpital et leur volonté d'accomplir un travail bien fait. Ils côtoient quotidiennement la maladie, la souffrance et la mort et sont soumis à une énorme pression psychologique, faute de pouvoir accorder l'attention et le service nécessaires aux personnes arrivant à l'hôpital. Cela les conduit à un déchirement. Des infirmières, quand elles rentrent chez elles, ressassent leur journée, les soins qu'elles n'ont pu dispenser, les paroles et les regards qu'elles n'ont pu échanger avec les malades.

Quelles sont les nouvelles contraintes qui pèsent sur les soignants ?

D. G. : Il y a tout d'abord l'intensité du travail, liée à son organisation, avec des remises en cause constantes des plannings, sans respect du délai de prévenance de 48 heures. De crainte d'être appelés à tout moment, certains ne donnent plus leur numéro de téléphone portable et se mettent sur liste rouge pour protéger leur vie familiale. A la direction de réclamer des réquisitions au préfet si elle le juge nécessaire ! Sachez que, lorsqu'il y a réquisition les jours de grève, les effectifs s'avèrent supérieurs aux effectifs habituels ! Au moment des 35 heures, 40 000 postes manquaient. Il en aurait fallu 40 000 de plus pour accompagner la réduction du temps de travail. Or seuls 30 000 ont été créés. Par ailleurs, les vacations de 8 ou 9 heures sont passées à 7 heures 12 minutes ou 7 heures 24 minutes... Avec, à la clé, la disparition ou la réduction du chevauchement des horaires permettant de passer les consignes De nombreuses heures supplémentaires sont effectuées mais rarement payées. Ce temps qui manque porte atteinte à la qualité du travail.

Quelles sont les conséquences sur le personnel et sur la qualité des soins ?

D. G. : L'absentéisme, les accidents du travail et les maladies professionnelles augmentent. Chaque jour, en moyenne 94 000 agents hospitaliers manquent à l'appel, soit 10 % des effectifs. Mais on se préoccupe peu de prévention. Il semble que la moitié des hôpitaux n'a pas établi de document unique d'évaluation des risques. Des services fonctionnent avec des soignants en nombre insuffisant, sans respect des règles fixées par le Code de la santé publique. Cela peut conduire à des mises en danger de la vie d'autrui, et nous avons été amenés à faire des signalements au procureur de la République. Pour l'instant, c'est classé sans suite. Faudra-t-il nous porter partie civile ? J'ajoute enfin que 1 000 morts par an pourraient être évitées si on organisait mieux les urgences. Comme le souligne la Haute Autorité de santé1 , il ne peut y avoir de qualité des soins sans qualité des conditions de travail.

Que préconisez-vous ?

D. G. : Sans un changement radical du contexte économique, les solutions seront éphémères. Il faut mettre fin à la tarification à l'acte. Dans sa forme actuelle, elle entraîne des dérives comme la multiplication des césariennes et des sorties fictives ou prématurées de malades, qui devront être réhospitalisés. Mais il faut surtout investir dans la prévention, informer sur les risques chimiques, les troubles musculo-squelettiques... Mettre en place un pool de remplaçants, pour obtenir le respect des plannings. Former les cadres aux sciences sociales, pour qu'ils comprennent et préviennent les risques psychosociaux. J'ai choisi le titre L'hôpital disloqué parce que, médicalement, la dislocation, ça se répare.

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    Voir interview de Véronique Ghadi, page 13.

À lire
  • L'hôpital disloqué, par Denis Garnier, Le Manuscrit, 2011. Egalement disponible sous forme numérique sur www.manuscrit.com