Le robot collaboratif installé chez Lefrant-Rubco -  © Joëlle Maraschin
Le robot collaboratif installé chez Lefrant-Rubco - © Joëlle Maraschin

Une PME de la chimie fait le pari de l’ergonomie

par Joëlle Maraschin / janvier 2020

Accompagnée par les ergonomes d’un service de santé au travail et de l’Aract Hauts-de-France, l’entreprise Lefrant-Rubco a équipé l’un de ses ateliers d’une ligne de conditionnement automatisée et d’un robot collaboratif pour diminuer le port de charges.

Implanter des technologies d’automatisation et de robotique collaborative pour améliorer les conditions de travail, gagner en productivité mais sans menacer l’emploi : c’est le pari qu’a fait Lefrant-Rubco, une PME d’une trentaine de salariés située sur la commune de Muille-Villette, dans la Somme. Spécialisée dans la chimie « à façon » et les matières premières utilisées dans l’industrie du caoutchouc ou dans les peintures, elle a été accompagnée dans ce changement important par l’Asmis, un service de santé au travail du département, et par l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) Hauts-de-France.
Pour concevoir un nouvel atelier de conditionnement de ses produits liquides, l’entreprise s’est engagée dans une démarche participative. La réussite de tels projets de transformation implique en effet la participation des premiers concernés, les opérateurs. Ce sont eux qui connaissent le travail, leurs contraintes et leurs ressources. Or les nouvelles technologies, censées faire disparaître les tâches pénibles, peuvent aussi introduire des exigences inconnues jusque-là, comme l’intensification du rythme de travail, un sentiment de déshumanisation, voire des risques d’accident. Il faut donc rester vigilant.

Concilier santé et performance

« Les opérateurs de cet atelier remplissaient, portaient et déplaçaient toute la journée des seaux d’une vingtaine de kilos, décrit Thierry Geistel, le directeur de l’usine. L’entreprise devait renforcer ses capacités de production pour répondre aux besoins croissants de nos clients, mais nous ne pouvions accroître le rythme de travail de nos salariés sans risquer d’abîmer leur santé. » En d’autres termes, l’enjeu était d’améliorer les conditions de travail tout en augmentant la performance de l’entreprise.
En raison des risques de troubles musculo-squelettiques (TMS) pour les ouvriers de l’atelier de conditionnement, le directeur a pris contact avec le médecin du travail de l’Asmis, le Dr Jean-Marc Geslin. Celui-ci lui propose alors l’intervention de Nathalie Lachambre, ergonome dans ce service de santé au travail. « J’ai rencontré un employeur qui fait de l’ergonomie sans le savoir, puisqu’il est convaincu que les solutions viennent des salariés », souligne-t-elle. Après une première analyse, une réunion de travail est organisée conjointement avec l’Aract Hauts-de-France, afin de mobiliser l’ensemble des acteurs sur le projet, que ce soit l’encadrement, la maintenance, le responsable qualité, hygiène, sécurité, environnement (QHSE), les opérateurs, les élus du personnel et les ergonomes. Les fournisseurs de matériel proposent un premier projet de conception de l’atelier. A partir de celui-ci et du diagnostic ergonomique s’engage alors, pilotée par l’Aract, une phase de coconstruction du projet de transformation avec les équipes de terrain.

Des tests réalisés avec des Playmobil

Pour vérifier que les solutions envisagées sont en adéquation avec le travail à réaliser et ne génèrent pas de nouvelles contraintes, il est indispensable que les personnes concernées puissent se faire une idée de la situation à venir. Le chargé de mission de l’Aract les invite donc à simuler leur travail à l’aide d’une maquette volumétrique du futur atelier, un espace à l’intérieur duquel ils peuvent faire évoluer des Playmobil les représentant. « Les salariés se sont rendu compte que le projet initial des fournisseurs n’était pas du tout adapté à leur travail », se souvient Nathalie Lachambre.
Sur la base de leurs réflexions et propositions, le cahier des charges technico-financier est entièrement revu. Il est prévu d’automatiser la ligne de conditionnement tout en réorganisant entièrement l’atelier et ses espaces de stockage. Il subsiste un port de charges à la sortie de la ligne pour les opérations de palettisation. Le concepteur d’un bras articulé manipulateur est associé à la démarche. Comme l’observe Jason Sauvé, chargé de mission à l’Aract, « les aides à la manutention ne sont généralement pas utilisées par les opérateurs lorsqu’elles leur font perdre du temps. Ils tiennent compte aussi des questions de performance. Dans cette entreprise, le dispositif a été pensé avec les salariés pour répondre à leurs besoins ».

Supervision plutôt que manutention

Ouvrier polyvalent, Jean-Pierre Hétuin ne tarit pas d’éloges sur la transformation de l’atelier. « Grâce au bras manipulateur, on peut lever quatre seaux en même temps, comme une plume ! s’enthousiasme-t-il. C’est formidable par rapport à ce que nous avons connu, et cela nous a permis d’avoir de nouveaux clients. » A 61 ans, ce salarié ne peut plus porter de charges lourdes en raison de problèmes de santé. Maintenu en emploi sur un poste « doux » d’étiquetage, il a pu retrouver sa place dans l’atelier depuis la mise en service de la ligne de conditionnement au printemps 2017.
Les investissements de l’entreprise, soutenue financièrement par la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph), ont permis de gagner en productivité tout en diminuant la pénibilité sur les postes de travail. Et ce, sans aucune suppression d’emploi. « Les opérateurs ne sont plus sur une activité de manutention, mais plutôt de supervision du process et de contrôle qualité », précise Jason Sauvé. De l’avis des quelques salariés rencontrés, le travail au sein de cet atelier est devenu moins fatigant qu’auparavant. « Nous sommes une petite entreprise, on se parle tous, et je n’ai entendu personne se plaindre du travail dans le nouvel atelier », témoigne Christine Dupont, responsable du contrôle qualité et élue CSE. Même si le chef d’équipe signale qu’il a fallu un temps d’adaptation à cette nouvelle façon de travailler.
A la demande de la médecine du travail et de l’entreprise, l’ergonome de l’Asmis et le chargé de mission de l’Aract sont de nouveau intervenus, cette fois dans un atelier dédié à la production de factice, un additif utilisé pour le caoutchouc.

Une cuve mieux conçue pour les opérateurs

Là, le mode opératoire de fabrication est complexe. Au moment de la réaction chimique, les opérateurs doivent ouvrir la cuve, s’y pencher pour broyer, concasser et décoller le produit manuellement. « Sur ce poste de travail, les salariés peuvent être exposés à des risques chimiques en raison de l’inhalation de vapeurs, mais aussi à des gestes et postures pénibles », constate le chargé de mission de l’Aract. La cuve n’a pas non plus été pensée pour faciliter les opérations de maintenance.
Lorsque l’intervention a commencé dans cet atelier de production de factice, « Lefrant-Rubco avait déjà choisi un prestataire pour la conception d’une autre cuve », relate Jason Sauvé. « Les salariés ont été associés à ce projet, l’entreprise a su reprendre la méthodologie pour élaborer son cahier des charges », poursuit-il.

Une maquette numérique

« Cette nouvelle cuve a été imaginée en prenant en considération les contraintes et les besoins des opérateurs, ajoute Thierry Geistel. Un chaudronnier nous a soumis des plans précis, que nous avons fait valider par les équipes. » Les observations des ergonomes sur l’ensemble des postes de travail de l’atelier ont révélé d’autres contraintes pour les opérateurs, notamment des ports de charges sur la zone de conditionnement du produit.
Le prototype de la cuve de réaction ayant été livré fin novembre à l’entreprise, Jason Sauvé va lancer les premiers groupes de réflexion avec les ouvriers afin que puissent émerger les solutions d’amélioration des conditions de travail. Outil de simulation adapté aux contraintes architecturales de l’atelier, une maquette numérique conçue par un logiciel de création d’images en 3D a été élaborée par l’Aract. Elle servira de support pour mettre en débat le travail actuel et futur. Des espaces de discussion nécessaires pour réussir à transformer le travail.