Le poids des facteurs psychosociaux dans les TMS

par Eric Berger / juillet 2011

Le troisième Congrès du groupe de recherche francophone sur les troubles musculo-squelettiques s'est penché sur leurs liens avec les risques psychosociaux. Entretien avec Jack Bernon, du département santé-travail de l'Anact, coorganisatrice de l'événement.

En mai, à Grenoble, s'est tenu le troisième Congrès du groupe de recherche francophone sur les troubles musculo-squelettiques (TMS), que vous avez coorganisé en tant que responsable du département santé-travail de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Que pouvez-vous nous dire sur ce groupe ?

Jack Bernon : Ce groupe existe depuis 1998 et s'est constitué à l'initiative de chercheurs. L'Anact est rapidement venue apporter son concours et a favorisé des rencontres de chercheurs de disciplines variées, tous engagés dans la recherche sur les troubles musculo-squelettiques en milieu de travail. Il s'est progressivement élargi à d'autres chercheurs de Belgique, du Québec, d'Algérie, du Luxembourg, de Suisse et de Tunisie, pour se transformer en un véritable réseau.

Nous partageons tous la même volonté de parvenir à la mise en place d'une prévention efficace et durable des TMS dans les entreprises. Nous partageons également une même vision ergonomique, qui privilégie dans les modes d'intervention en entreprise une entrée par le travail. Historiquement, c'est ce qui nous différenciait de l'approche anglo-saxonne, qui se focalise essentiellement sur l'interface homme-machine. Depuis le dernier congrès Premus1 , cela est moins vrai. Ce réseau informel de chercheurs francophones se rencontre régulièrement. Le congrès est conçu comme un lieu d'échanges entre chercheurs et avec les praticiens concernés par ces sujets, qu'ils soient consultants, préventeurs, syndicalistes, responsables des ressources humaines ou médecins du travail.

Cette troisième édition a décidé de traiter des liens entre TMS et risques psychosociaux. Pour quelles raisons avoir choisi ce thème ?

J. B. : Des études commencent à montrer l'importance des facteurs psychosociaux dans l'apparition des troubles musculo-squelettiques, ce que conforte l'expérience des praticiens. Avec l'émergence de ces risques, nous avons pris conscience que les TMS ne se réduisaient pas à une seule dimension biomécanique, mais qu'ils avaient aussi à voir avec des questions d'insatisfaction au travail, de manque de reconnaissance ou d'insécurité de l'emploi. L'analyse doit ainsi non seulement porter sur les aspects physiologiques, mais aussi sur l'ensemble des conditions dans lesquelles l'activité professionnelle s'exerce.

Quelles ont été, selon vous, les informations les plus marquantes de ce congrès ?

J. B. : Nous avons recensé une cinquantaine de communications de chercheurs ou praticiens, qui ont multiplié les regards sur les TMS. Nicolas Hatzfeld, de l'université d'Evry, a donné un aperçu historique sur la relation entre les TMS et les risques psychosociaux, certaines époques favorisant une convergence entre ces problèmes, d'autres, au contraire, les mettant en concurrence. Alain Piette, du service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale de Belgique, s'est interrogé sur l'impact de la norme, quelle que soit sa forme - réglementation, procédures, valeurs limites -, sur les troubles musculo-squelettiques. Philippe Davezies a convoqué la biologie pour expliquer l'apparition de TMS. Ainsi, chez les salariés voués au travail répétitif et qui répriment leur propre subjectivité, on peut observer une chute du cortisol, alors même qu'ils sont en situation de stress professionnel. Cette détresse " rentrée ", qui ne peut s'exprimer, va se déplacer et provoquer une pathologie physique. Dernier exemple d'intervention, Corinne Van de Weerdt, de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), s'est intéressée à la prise en compte des émotions et des affects dans une relation de service. Cette étude montre comment la dimension affective peut constituer un moteur et une source positive de satisfaction au travail ou, a contrario, une charge trop lourde à gérer, au point d'avoir des impacts négatifs sur la santé.

Est-ce que les facteurs psychosociaux sont pris en compte dans les interventions sur les TMS ?

J. B. : La pratique française de la prévention a historiquement tendance à découper, isoler les risques, afin de circonscrire les objets d'étude. Sauf que la réalité du travail n'est pas fractionnable. Les risques et les difficultés sont multiples. Ils se répondent et interagissent. Les salariés qui ont été exposés à l'amiante, par exemple, étaient aussi impliqués dans des activités où la pénibilité était importante. Tout l'enjeu des interventions est de parvenir à reconstituer la situation de travail dans sa globalité pour pouvoir ensuite apporter des solutions de transformation. Il faut surtout chercher à promouvoir des modes d'organisation qui vont rendre la prévention durable possible. Nous nous heurtons sur le terrain à la difficulté du maintien dans le temps des politiques de prévention qui sont mises en place. La question de l'évaluation des interventions, des dispositifs de prévention et des effets produits est désormais un objet de recherche. On l'a bien vu lors de ce congrès. Il est d'ailleurs fort probable que ce nouveau questionnement prenne encore plus d'ampleur et soit un des principaux thèmes de notre prochain congrès, prévu dans quatre ans.

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    Congrès international sur les TMS réuni sous l'égide de la Commission internationale de santé au travail (Icoh-Cist). Lire " La mondialisation des troubles musculo-squelettiques ", par Yves Roquelaure et Annette Leclerc, Santé & Travail n° 73, janvier 2011.