"Poser au féminin la question de la santé au travail"

par Nathalie Quéruel / juillet 2008

Maître de conférences à la chaire de psychanalyse, santé et travail du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Pascale Molinier a contribué aux travaux du Congrès de médecine du travail sur le thème "femmes, travail et santé".

Bien que les femmes ne constituent pas un groupe social spécifique, vous dites que cela vaut la peine d'étudier la santé au travail en tenant compte du genre. Pourquoi ?

Pascale Molinier : Poser au féminin la question de la santé au travail, c'est faire apparaître que celle-ci a été, durablement, posée au masculin neutre en faisant l'impasse sur ce qu'on appelle "le genre". Analyser dans une perspective de genre, c'est admettre que, dans les différences hommes-femmes, il n'y a pas qu'un aspect biologique (le sexe) mais surtout une construction sociale. Et que cette construction sociale est marquée par des rapports asymétriques - où le masculin est privilégié par rapport au féminin - et par le rôle central du travail.

D'une certaine façon, les femmes n'existent pas. Il existe des êtres humains qui vivent des expériences "en tant que femmes". La difficulté d'atteindre des postes à responsabilité, la confusion entre l'être et le faire - les femmes étant plus souvent jugées dans le registre du premier -, l'injonction d'être une bonne mère, les doubles tâches, la contrainte d'être mince et séduisante sont quelques-unes de ces expériences. Le genre permet de penser la bipartition sous tous ses aspects : les privilèges et les désavantages se jouent autour de la question du "qui fait quoi ?" dans l'espace professionnel et dans l'espace domestique.

Donc cette approche ne vise pas à comparer, stricto sensu, la santé des femmes à celle des hommes ?

P. M. : Il s'agit de prendre en compte autre chose que simplement des travailleurs ou des travailleuses. La plupart des hommes et des femmes n'exercent pas les mêmes métiers et, quand ils le font, ils ne sont pas soumis aux mêmes attentes et contraintes. Ce sont ces différenciations qui sont intéressantes à regarder. Les femmes peuvent moins que les hommes "oublier les autres". On attend d'elles qu'elles soient plus humaines. Par exemple, la profession d'infirmière a permis aux médecins de demeurer à distance de la souffrance des patients. D'une femme médecin, on attendra sans doute qu'elle soit "comme ses confrères", mais aussi "différente", certainement plus humaine, voire plus docile.

Les femmes vivent également des contraintes distinctes selon les milieux professionnels. Dans certaines entreprises, quelques-unes racontent qu'elles ont dû prendre des horaires aménagés quand elles ont eu des enfants. Assumer pleinement ses responsabilités de mère était un élément de la confiance. A contrario, pour des cadres de santé à l'hôpital, pas question de travailler moins quand on a des enfants. Il faut assumer d'avoir voulu atteindre ce poste.

Comment peut-on faire le lien entre genre et santé ?

P. M. : Les femmes qualifiées, par exemple, se heurtent au "plafond de verre"1 . Quels sont les effets de cet "effacement" sur la santé des femmes ? Cette question n'est pas documentée. Ce sont les structures organisationnelles qui alignent les comportements dans l'espace privé et non l'inverse : on ne peut pas dire que les femmes ne progressent pas dans leur carrière parce qu'elles sont occupées par les tâches ménagères. Interroger la santé dans une perspective de genre, c'est peut-être avant tout construire un point de vue critique vis-à-vis de nos propres stéréotypes de sexe. Et cette remise en question n'est sans doute pas moindre pour les femmes que pour les hommes.

  • 1

    Expression désignant les barrières invisibles, créées par des préjugés comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d'accéder aux plus hautes responsabilités.