«Au poste de travail, se substitue la "position" de travail»
Dans la fonction publique, de nouvelles normes donnent un coup de rabot sur les m2 dévolus aux espaces de travail. Sans dialogue social préalable, ni étude d’impact sur la santé des agents. En réponse, l’Unsa Fonction publique a déposé un recours auprès du Conseil d’Etat, le 7 avril.
Quelle était la situation en matière d'espaces de travail dans les activités tertiaires de l'Etat, jusqu'à début 2023 ?
Annick Fayard : Une circulaire et un arrêté de 2009 définissaient la doctrine d’occupation des immeubles tertiaires de l’Etat. Auparavant, plusieurs typologies de surfaces étaient retenues, avec un calcul basé sur la surface utile nette comprenant espaces de bureau, de réunion et annexes de travail. Les effectifs étaient établis à partir des équivalents temps plein. Le ratio établissait un nombre de m2 par bureau : soit environ 12 m2, rarement en dessous de 9. Cela correspond aux recommandations de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).
En quoi une circulaire diffusée le 8 février par la Première ministre et un arrêté publié le 3 mars vont-ils changer la donne ?
A. F. : La surface utile nette a été remplacée par une norme qui permet d’inclure des espaces qui jusqu’alors ne pouvaient pas l’être, comme les couloirs, les lieux de restauration et d’accueil. Le calcul sur la base des équivalents temps plein a été remplacé par un autre, en fonction des « résidents », qui tient compte du temps de présence réel dans le bâtiment. A la notion de poste de travail se substitue celle de « position » de travail, définie par quelques critères : une assise (sans précision), une prise et une connexion possible à Internet, ainsi qu’un éclairage.
Qu’est-ce que cela implique pour les agents ?
A. F. : Avec ces nouvelles normes, la surface de travail est susceptible d’être réduite à 5 m2 ; potentiellement, ça peut être une place dans un couloir avec une tablette fixée sur un mur. Les agents vont devoir passer d’un lieu de travail à l’autre, parfois même au cours d’une seule journée, alors qu’ils veulent avoir leur bureau quand ils arrivent le matin. Travailler dans des espaces collectifs est possible pour certaines activités, mais pas pour d’autres – visioconférence, rédaction d’une analyse, etc.
De plus, les nouvelles normes posent un problème de respect des accords conclus : par exemple, la réversibilité du choix du télétravail devient difficile. Or, à partir du moment où un agent ne souhaite plus télétravailler plusieurs jours par semaine pour des raisons qui lui appartiennent, il doit pouvoir revenir dans son bureau et retrouver les conditions de travail qui étaient les siennes.
Certaines personnes vont-elles être davantage touchées ?
A. F. : Cette densification des espaces de travail soulève la question de l’accueil des personnes en situation de handicap. Il n’est pas prévu de cas particuliers, alors que les conditions de travail changent selon les activités et les situations individuelles. Que se passera-t-il, s’il faut procéder à une adaptation de poste ? J’ai à l’esprit cet exemple d’une collègue, souffrant d’acouphènes et d’hyperacousie, pour laquelle il a été nécessaire d’aménager un bureau personnel.
Pourquoi avoir déposé un recours auprès du Conseil d’Etat ?
A. F. : Ces nouvelles normes ont été édictées sans aucune concertation, ni même information. Bien qu’elles changent substantiellement les conditions de travail et l’organisation du travail, elles n’ont fait l’objet d’aucune étude d’impact sur la santé des agents. Or, avec les répercussions de l’intensification du travail sur la santé mentale, certains ont déjà besoin d’un espace spécifique.
Et les locaux tertiaires de l’Etat ne sont pas seulement occupés par des personnes qui peuvent télétravailler. Il est choquant que l’employeur revendique comme une priorité l’amélioration des conditions de travail et, dans le même temps, impose des mesures qui peuvent les dégrader, sans dialogue social.