© Shutterstock

Libérer la parole sur le travail

par François Desriaux / avril 2014

Et maintenant ? Quatre ans après notre appel dans Le Monde et notre une de janvier 2010 sur le thème "Reprendre la parole sur le travail", une majorité des acteurs de la santé au travail est convaincue que c'est effectivement une piste pour prévenir (enfin) les risques organisationnels. C'est d'ailleurs une des dispositions novatrices de l'accord national sur la qualité de vie au travail de juin dernier. Sauf que ce n'est pas si simple. Il ne suffit pas de dégager du temps, de réunir les salariés et de leur garantir la liberté d'expression pour que ce soit efficace. Parler du travail, ou plus exactement de son activité, ne va pas de soi. D'abord, parce que les êtres humains ont beaucoup plus conscience des obstacles que des dimensions positives de leurs actions, lesquelles restent impensées. Ensuite, parce que dans une réunion formelle, la tendance naturelle sera de ne tenir que des propos qui peuvent être entendus par tous. Ne serait-ce que pour préserver ses propres marges de manoeuvre vis-à-vis du travail. Résultat, les échanges se cantonneront aux moyens insuffisants, au chef qui "met la pression", au manque de reconnaissance... Et pourtant, si personne n'a spontanément les mots pour dire les subtilités de son travail, l'intérêt général commande d'explorer cette nouvelle voie, de chercher à enrichir sans la travestir la parole des salariés sur leur travail. Pour qu'elle soit mieux prise en compte par les travailleurs eux-mêmes et par les concepteurs.

Pourquoi il faut parler du travail

par Philippe Davezies enseignant-chercheur en médecine et santé au travail / avril 2014

En obligeant les salariés à arbitrer individuellement des objectifs contradictoires, les nouvelles organisations du travail génèrent conflits et pathologies. Créer les conditions d'un dialogue sur le travail et ses finalités permettrait d'y remédier.

Le droit d'expression des salariés sur le travail, institué en 1982 par les lois Auroux, est resté lettre morte. Or de nombreuses voix s'élèvent aujourd'hui pour souligner la nécessité de remettre cette question à l'ordre du jour. Avancer dans cette direction impose de comprendre les transformations du monde du travail à l'origine de cette résurgence, mais aussi de réfléchir aux difficultés de la démarche et de situer les moyens de les dépasser.

Tout d'abord, la nature du travail et les débats qu'il suscite ont changé. Dans la période dominée par le taylorisme, les objectifs de production ne donnaient pas matière à débat. La critique de l'entreprise portée par les ergonomes visait sa conception abstraite du travail et mettait en exergue la mobilisation qu'imposait au travailleur une variabilité des situations sous-estimée par l'organisation du travail. Le débat portait alors sur les conditions de l'activité.

Depuis, les transformations subies par le monde du travail au cours des dernières décennies ont été impressionnantes. A l'heure actuelle, 70 % à 80 % des salariés travaillent dans une position de service. La proportion de salariés européens dont le rythme de travail est...

Nous sommes heureux que vous aimiez nos contenus.
Vous ne possédez pas d'abonnement à Santé & Travail.

Abonnez-vous pour accéder aux contenus numériques.

Découvrez nos offres à destination des étudiants et des institutions.

Abonné-e : Connectez-vous