© Patrice Raveneau
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Préjudice d’anxiété : carton plein pour les mineurs

par François Desriaux / 29 janvier 2021

Dans un arrêt rendu ce 29 janvier, la cour d’appel de Douai reconnaît le préjudice d’anxiété pour 726 mineurs de Lorraine exposés à de multiples cancérogènes et fixe le montant indemnitaire à 10 000 euros. Un signal fort pour la prévention.

C’est, selon toute vraisemblance, la fin d’un long combat judiciaire entamé en 2013, à l’initiative du syndicat CFDT des mineurs et de l’un de ses leaders charismatiques, François Dosso. Ce vendredi 29 janvier, la cour d’appel de Douai a reconnu le préjudice d’anxiété pour 726 mineurs des Houillères du bassin de Lorraine. Elle a fixé le montant du préjudice pour chacun d’entre eux à la somme de 10 000 euros. L’addition est donc salée pour l’Etat – puisque c’est finalement lui qui vient aux droits de Charbonnages de France – qui devra donc s’acquitter de plus de 7,3 millions d’euros en comptant les frais de procédure versés aux demandeurs. C’est une sacrée victoire pour l’équipe de militantes et de militants du syndicat des mineurs de Lorraine. Dans ses locaux de Merlebach, elle a préparé pendant de longs mois près de 800 dossiers, recevant un par un et plusieurs fois les mineurs et leur famille, rassemblant quantité de pièces et de témoignages. « Un vrai travail de mineur de fond », plaisante François Dosso.

« Un risque élevé de contracter une maladie grave »

Déjà, le 11 septembre 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation avait fait faire un bond décisif au cheminement de cette affaire. En cassant les arrêts de la cour d’appel de Metz, lesquels avaient débouté les mineurs, les magistrats de la Haute Juridiction avaient ouvert la voie à la reconnaissance du préjudice d’anxiété pour tous les salariés exposés à des substances cancérogènes sur leur lieu de travail, dès lors que l’employeur n’avait pas mis en œuvre les mesures suffisantes de protection. Jusque-là, le préjudice d’anxiété n’était admis que pour les seules victimes de l’amiante, bénéficiaires de l’allocation de préretraite (Acaata). La Cour de cassation avait renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Douai pour l’application de cette nouvelle jurisprudence et la fixation des montants indemnitaires.
C’est aujourd’hui chose faite. Faisant une analyse assez fouillée des mesures de prévention mises en avant par Charbonnage de France et de leurs lacunes, établies par de nombreux témoignages, les juges de la cour d’appel ont conclu que « l’exposition à l’émanation de poussières de bois, de charbon, de rocher, de particules d’amiante, de fumées de locomotives diesel, d’émanations de produits et de liquides toxiques générait un risque élevé de contracter une maladie grave ». Dans leurs attendus, les magistrats relèvent aussi que 300 mineurs ont été atteints d’une maladie professionnelle reconnue, ce qui démontre bien l’insuffisance des mesures de prévention.

Aux salariés exposés de faire valoir leurs droits

Dans son fief de Merlebach, François Dosso savoure ce moment, alors que son téléphone n’arrête pas de sonner. Modeste, il met en avant le travail de toute une équipe. Il insiste sur la portée de la décision : « C’est maintenant à tous les salariés exposés à des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) de faire valoir leurs droits et de se servir de ce jugement pour la prévention. Le droit, c’est l’inverse de la publicité pour la pile Wonder qui ne s’usait que si l’on s’en servait. Le droit, lui, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas », s’amuse-t-il.
A Paris, Cédric de Romanet, l’un des avocats du cabinet TTLA qui a plaidé ces 726 dossiers, confirme l’importance de cet arrêt. « On peut se féliciter de cette décision des magistrats de la cour d’appel de Douai ; ils ont fait une application stricte de la récente jurisprudence de la Cour de cassation, s’agissant de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur à travers les articles L. 4121-1 et 2 du Code du travail. C’est un signal fort adressé aux entreprises : l’application des principes généraux de prévention n’est plus une option ! » Et François Dosso d’insister : « Le préjudice d’anxiété, c’est en droit civil l’équivalent de la mise en danger d’autrui pour le droit pénal. On n’a pas besoin d’attendre que la maladie se matérialise pour agir. Surtout qu’en matière d’exposition à des substances CMR, la maladie apparaîtra au bout d’un temps de latence de 20 ou 30 ans. Or dans certaines entreprises, on est resté au XIXe siècle en matière de prévention des expositions, notamment chez les sous-traitants de grands groupes. »
Avec plus de deux millions de salariés exposés à des produits cancérogènes sur leur lieu de travail, la marge de progression est effectivement importante.