Prendre en charge la pénibilité via l'inaptitude

par Frédéric Lavignette / avril 2010

Présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et membre du Conseil d'orientation des retraites, Danièle Karniewicz défend une prise en charge au cas par cas des salariés usés par la pénibilité, au lieu de départs en retraite anticipés.

Le président de la République a annoncé aux partenaires sociaux que la question de la pénibilité ne serait pas intégrée au débat sur la future réforme des retraites. Qu'en pensez-vous ?

Danièle Karniewicz : Inévitablement, l'allongement de l'activité professionnelle sera au coeur des discussions sur la réforme des retraites. Dès lors, on ne peut exclure du débat la question de la pénibilité, puisque de nombreux salariés ne pourront prolonger leur activité parce que trop usés par le travail. En revanche, il ne me paraît pas raisonnable de traiter de la pénibilité en envisageant un départ anticipé automatique pour tous les salariés exposés.

Ce dossier était au coeur des négociations de 2008 entre patronat et syndicats. Mais rien n'a pu aboutir, car deux positions s'affrontent. D'un côté, il y a ceux qui souhaitent que tous les salariés ayant occupé des postes pénibles obtiennent un départ anticipé, calculé sur la base du temps passé sur ces postes. Cette approche me paraît difficile et son coût nécessite d'énormes financements.

L'autre approche propose d'établir un constat de l'état de santé du salarié, à un moment donné, pour voir s'il est en mesure de continuer ou non son activité. C'est cette approche que nous défendons à la CFE-CGC. Nous pensons par conséquent que les situations doivent être traitées au cas par cas, en fonction de l'usure provoquée sur la santé du salarié. L'arrêt anticipé d'activité pour cause de pénibilité relève, selon nous, de mesures de prise en compte de l'inaptitude au travail, mais pas de mécanismes de retraite.

Quels mécanismes de prise en charge suggérez-vous ?

D. K. : Depuis longtemps, nous avons milité pour la mise en place d'un curriculum laboris qui puisse retracer les expositions aux risques d'un salarié tout au long de sa carrière. Ces renseignements doivent être complétés par un diagnostic médical. Pour cela, nous proposons la création d'une commission formée de médecins susceptibles de définir si une personne peut ou non continuer à travailler et, si oui, dans quelles conditions.

Si le salarié ne peut pas continuer dans son métier pour des raisons médicales, peut-on l'intégrer dans un autre qui sollicite moins son état de santé ? Si oui, le problème est en partie réglé. Dans le cas contraire, cela signifie que la personne n'est plus en capacité de travailler et il faut alors trouver un mode de prise en charge.

L'Etat, bien évidemment, ne peut pas assumer la totalité de ce coût au nom de la solidarité nationale. Comme il est évident que l'usure de la santé des salariés est imputable aux conditions de travail, nous proposons que cette prise en charge soit financée par une mutualisation des dépenses entre les branches professionnelles, celles qui sont très exposées et celles qui le sont moins.

Existe-t-il à l'étranger un modèle à suivre en la matière ?

D. K. : Aucun pays ne prend en compte la pénibilité par le biais du système de retraite. Les sorties d'activité résultant de la pénibilité au travail relèvent de processus d'invalidité ou d'inaptitude généralement liés à un bilan médical. C'est le cas de l'Allemagne, où des efforts sont déployés au préalable pour réinsérer les salariés dans le travail, en marge du système d'assurance vieillesse.

Je voudrais insister sur le fait que le modèle à développer en amont, avant de subir les effets de la pénibilité, est de porter une politique volontariste de prévention dans les entreprises, d'organiser un suivi médical ciblé sur les postes à risque et un accompagnement médical des salariés exposés, particulièrement en fin de carrière. C'est également ce que font nos voisins allemands.