Projet de loi Rebsamen : des CHSCT d’établissement amputés de leur pouvoir d’agir

par François Cochet / 23 avril 2015

Alors que le projet de loi sur la modernisation du dialogue social a été adopté le 22 avril en Conseil des ministres, de nombreux professionnels de la santé au travail estiment que ce texte va restreindre l’action des CHSCT. Réaction de François Cochet, directeur des activités santé au travail du cabinet d’expertise Secafi.

Alors que le projet de loi Rebsamen, sur la modernisation du dialogue social, affirme préserver l’intégralité des prérogatives du CHSCT, un examen attentif du texte montre qu’il propose une restriction très importante des prérogatives des CHSCT d’établissement.

Dans les entreprises complexes, certains projets importants peuvent avoir des effets sur les conditions de travail des salariés de plusieurs établissements. Dans ce cas, les différents CHSCT concernés doivent être consultés. Avant la loi de sécurisation de l’emploi (loi LSE du 14 juin 2013), chacun d’entre eux pouvait même demander sa propre expertise. Dans quelques cas, des entreprises se sont alors retrouvées avec une multitude d’experts travaillant en parallèle sur le même sujet, ce qu’elles ont mal vécu. En donnant à l’employeur le droit de mettre en place une instance de coordination des CHSCT (ICCHSCT) en charge de piloter une expertise unique dans ce type de situation, la loi LSE a définitivement réglé ce problème. Pourtant, avec une rare mauvaise foi, l’argument de « l’expertise multiple » est régulièrement ressorti par ceux qui, en définitive, voudraient priver définitivement les CHSCT de toute expression autonome.

En cas de projet impliquant plusieurs établissements, le CHSCT local a donc perdu son droit de demander sa propre expertise. Mais il a conservé à juste titre le droit de donner son avis sur le projet. En effet, un même projet peut avoir des effets très différents selon les établissements et il n’y a aucune raison de vouloir « unifier » les avis des différents CHSCT. Prenons quelques exemples :

–      Une réorganisation industrielle prévoit de transférer une chaîne de production de l’usine A vers l’usine B. La première perd des emplois, la seconde en gagne. La même décision de l’employeur aura des effets très différents sur les deux sites, et les CHSCT concernés ont une forte probabilité de donner des avis notoirement différents.

–      Une banque décide que les animateurs des ventes de son réseau seront désormais en charge d’un groupe de cinq agences chacun, entre lesquelles ils répartiront leur présence sur la semaine. Le projet passe sans difficulté au comité central d’entreprise (CCE), où il reçoit un avis favorable. Puis la plupart des CHSCT des zones urbaines font de même. Le CHSCT d’une zone rurale s’inquiète, lui, du projet et demande une expertise qui met en évidence que ce dernier, mis en œuvre sur une zone plus diffuse, prive les agences de la présence effective de leur animateur : celui-ci doit parcourir 1 450 kilomètres par semaine pour mettre les pieds dans ses cinq agences.

Dans tous ces cas – et la culture d’organisation est ainsi faite dans notre pays –, il s’agit de grands projets décidés centralement, qui sont ensuite déployés dans tous les établissements, sans d’ailleurs que les directions locales n’aient voix au chapitre.

La fin des avis des CHSCT d’établissement

La nouvelle rédaction de l’article L. 4616-1 du Code du travail sur l’instance de coordination proposée par le projet de loi Rebsamen stipule que : « L’instance temporaire de coordination, lorsqu’elle existe, est seule consultée sur les mesures d’adaptation du projet communes à plusieurs établissements. Les comités d’hygiène, de santé et des conditions de travail concernés sont consultés sur les éventuelles mesures d’adaptation du projet spécifiques à leur établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement. » Deux conditions cumulatives devraient donc désormais être réunies pour que les CHSCT locaux soient consultés : l’existence de mesures d’adaptation du projet spécifiques à leur seul établissement, ces mesures devant par ailleurs relever de la compétence du chef d’établissement. Avec cette rédaction, c’en est fini du droit des CHSCT locaux de donner leur avis. En effet, il suffira que le rédacteur du document d’information-consultation s’assure que chaque mesure d’adaptation concerne au moins deux établissements. Ou qu’il dise qu’une mesure propre à l’un d’entre eux a été décidée au niveau central et non par le chef d’établissement.

Il est pourtant dans l’intérêt des entreprises de recueillir dans de bonnes conditions l’avis « du terrain » en amont des projets, avant que des aspects particuliers mal anticipés de ces derniers ne viennent les remettre en cause ou aggraver sensiblement leurs coûts. Par ailleurs, la perspective d’une consultation des CHSCT d’établissement constitue pour les responsables de projets une profonde incitation à prendre en compte les particularités locales.

Que l’on songe, par analogie, au fiasco de l’écotaxe ! Ce projet, voté à l’unanimité au Parlement, visait à faire payer une taxe aux innombrables poids lourds étrangers qui traversent la France pour relier entre eux nos différents pays voisins. Sauf que ce schéma ne concerne pas la Bretagne, une région non traversée par ces trafics et dénuée de péages autoroutiers ! Une consultation du « CHSCT-Bretagne » aurait permis d’identifier cet obstacle et de corriger ce projet pour réussir sa mise en œuvre.

Dans l’intérêt même de la bonne conduite des projets des entreprises, le texte du projet de loi Rebsamen doit donc être corrigé sur ce point. D’autant que, sur le même sujet, la nouvelle rédaction de l’article L. 2327-2 du Code du travail, concernant la répartition des rôles entre les comités d’établissement et le comité central d’entreprise (CCE), parait plus adaptée. Le texte indique que le CCE « est seul consulté sur les projets décidés au niveau de l’entreprise qui ne comportent pas de mesures d’adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements. Il est également seul consulté sur les projets décidés au niveau de l’entreprise lorsque leurs éventuelles mesures de mise en œuvre, qui feront ultérieurement l’objet d’une consultation propre au niveau approprié, ne sont pas encore définies ».

La loi devrait clairement restreindre aux projets qui ne comportent aucune adaptation locale la consultation au niveau de la seule ICCHSCT. Il peut en exister en effet, mais ce sera à l’employeur de l’établir et de le démontrer dans son document de présentation. Mais dans le cas plus général, où il est très pertinent de recueillir soigneusement l’avis des CHSCT locaux, ceux-ci ne seront pas dépossédés de leurs droits. Et puisque le gouvernement affirme que le débat parlementaire pourra améliorer le texte, espérons que les députés sauront préserver ce rôle essentiel des CHSCT locaux.