Protéger les lanceurs d'alerte et l'expertise

par Milène Leroy / juillet 2008

Chercheur en évaluation des risques sanitaires à l'Ineris1 , André Cicolella a été l'un des initiateurs du colloque "Lanceurs d'alerte et système d'expertise : vers une législation exemplaire en 2008 ?", organisé en mars par la Fondation sciences citoyennes.

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    Institut national de l'environnement industriel et des risques.

Qu'est-ce qu'un "lanceur d'alerte" et pourquoi faudrait-il particulièrement le protéger ?

André Cicolella : Un lanceur d'alerte est une vigie. C'est une personne, ou un groupe de personnes, en état d'observer une situation dommageable pour la santé ou l'environnement. Cette définition s'applique à tous, que ce soit en milieu professionnel ou non. Cependant, les salariés sont soumis au devoir d'obéissance. Ceux qui lancent une alerte peuvent aujourd'hui être sanctionnés pour insubordination. Cela revient à tirer sur la vigie, donc cela encourage les gens à se taire !

 

Repère

La Fondation sciences citoyennes est une association loi de 1901 créée en 2002. Son objectif est de permettre aux citoyens de se réapproprier la science afin de la mettre au service du bien commun. Présidée à son origine par André Cicolella, elle l'est aujourd'hui par Catherine Bourgain. L'adresse de son site Internet est : www.sciencescitoyennes.org

Après le colloque de mars dernier, quelles sont les propositions de la Fondation sciences citoyennes ?

A. C. : Depuis le précédent congrès, organisé en 2003, le regard sur le lanceur d'alerte a changé. Il est géné­ralement admis aujourd'hui que sa protection est importante, mais qu'il faut aussi mettre en place un dispositif permettant à l'ensemble du processus d'expertise d'être protégé. C'est seulement dans ces conditions que l'alerte, qui peut faire partie d'un dispositif de sécurité sanitaire et environnementale, sera efficace. La Fondation sciences citoyennes demande donc une loi qui protège tout le processus, depuis l'alerte jusqu'à l'expertise. Avec une telle réforme, un drame comme celui de l'amiante ne devrait plus être possible. Cette approche est aussi celle qui a été retenue à l'unanimité par le Grenelle de l'environnement. C'est très positif. Nous veillerons à ce que ces principes figurent dans la loi issue du Grenelle, qui sera discutée à la rentrée au Parlement.

En quoi, au juste, consistent ces principes ?

A. C. : La pièce maîtresse de ce dispositif est la création d'une haute autorité administrative indépendante. Elle serait chargée de protéger l'alerte et l'expertise. Elle n'aurait pas pour mission de conduire elle-même l'expertise, mais de définir sa déontologie et de la faire respecter. Il faut savoir que les expertises sont trop souvent complaisantes. Un grand classique consiste à ne pas retenir les données qui fâchent. Autre problème : les experts rencontrent souvent des conflits d'intérêts, en travaillant ou en ayant travaillé pour l'industrie concernée. Cela jette le doute sur la crédibilité de leurs conclusions.

Quant au fonctionnement de cette haute autorité, nous imaginons la mise en place d'un comité de déontologie dans chaque organisme producteur de connaissances. S'agissant du monde du travail et des entreprises, la discussion est à mener avec les organisations syndicales. Est-ce le CHSCT qui devra prendre en charge ces questions de déontologie, le comité d'entreprise, ou bien encore un comité spécifique ? Ces questions ne sont pas tranchées. Dans le même temps, il faut aussi protéger le dispositif des "excès" d'alertes, sinon nous en aurons de toutes sortes : le danger est qu'il soit utilisé pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la protection de la santé ou de l'environnement.

Et dans le domaine de la santé au travail, qu'est-ce que cette loi va apporter de nouveau ?

A. C. : Le droit à l'insubordination doit être acté dans la loi. Lorsque le salarié, quel que soit son statut, constatera quelque chose d'anormal du point de vue de la protection de la santé ou de l'environnement, il aura l'obligation de donner l'alerte. Cela pourrait être le salarié du secteur agroalimentaire à qui il est demandé de changer une date de péremption, par exemple, ou encore le cadre qui a accès à un rapport comportant des données préoccupantes sur un produit. Parallèlement, l'employeur serait sanctionné s'il exerce des représailles à l'encontre du salarié lanceur d'alerte.

En savoir plus
  • Alertes santé. Experts et citoyens face aux intérêts privés, par André Cicolella et Dorothée Benoit Browaeys, Fayard, 2005.