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Prudence dans la délégation de pouvoir à la CSSCT

par Judith Krivine, avocate / avril 2019

Créée par les ordonnances Macron, la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) n'est pas l'équivalent du CHSCT. La prudence s'impose face à la tentation de lui déléguer les attributions du comité social et économique (CSE) sur la santé au travail.

Depuis les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 et la création du comité social et économique (CSE), ce dernier doit ou peut mettre en place une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), en fonction de l'activité de l'entreprise et selon qu'elle emploie plus ou moins de 300 salariés. Les pouvoirs de cette CSSCT sont régis par des dispositions d'ordre public, ou relevant du champ de la négociation, ou supplétives (voir "Repère"), prévues respectivement aux articles L. 2315-38, L. 2315-41 et L. 2315-44 du Code du travail. Ces dispositions déterminent notamment les modalités selon lesquelles le CSE peut "déléguer" à la CSSCT tout ou partie de ses attributions relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail.

Lors des débats qui ont précédé la publication des textes et juste après, la première réaction naturelle, du côté syndical, a été de penser qu'il suffirait de déléguer un maximum d'attributions à la CSSCT pour qu'elle devienne une sorte d'ersatz de feu le CHSCT. L'examen des textes et les premières pratiques conduisent néanmoins à une grande prudence vis-à-vis de cette faculté de délégation.

 

Un peu d'histoire

L'article 8 du préambule de la Constitution de 1946 a donné une valeur constitutionnelle au droit de tout travailleur à participer "par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises". Dans la lignée de ce texte, un décret du 1er août 1947 a créé les comités d'hygiène et de sécurité (CHS), définis comme "des organismes techniques qui associent les travailleurs à la tâche de protection contre les risques professionnels", qui fonctionnaient comme une commission spéciale du comité d'entreprise. La loi de 1973 a ensuite introduit une nouvelle commission du CE : la commission spéciale d'amélioration des conditions de travail (CACT). Sa mission était "la recherche de solutions aux problèmes concernant la durée de travail, notamment le travail de nuit, l'organisation matérielle, l'ambiance et les facteurs physiques du travail". Le 23 décembre 1982, la quatrième des lois dites "Auroux" a fusionné ces deux commissions au sein d'une nouvelle instance, le CHSCT, devenu institution représentative du personnel à part entière. Les pouvoirs du CHSCT ont été par la suite étendus et, en pratique, il est progressivement devenu l'un des principaux acteurs de la défense des droits des salariés.

Ainsi, l'exclusion - d'ordre public - de toute possibilité de déléguer à la CSSCT le recours à un expert et les attributions de consultation a très vite montré que cette commission ne pourrait jamais remplacer le CHSCT. C'est d'ailleurs parce que le pouvoir de désigner un expert ou de rendre un avis sont maintenus au niveau du CSE que l'ensemble de ses membres (titulaires et suppléants), et non seuls ceux de la commission, bénéficient de la formation prévue à l'article L. 2315-8 du Code du travail en matière d'hygiène, sécurité et conditions de travail.

 

Impossibilité d'agir en justice

La CSSCT ne pouvant voter la désignation d'un expert ou être consultée, on voit mal comment un juge pourrait lui reconnaître la personnalité juridique. De fait, selon la position exprimée par le ministère du Travail dans un document sur le CSE, "la CSSCT n'a pas la personnalité morale distincte"1 . Il en résulte qu'elle ne peut pas a priori agir en justice. Mais peut-être même devrait-on considérer que, de ce fait, elle ne peut en réalité prendre valablement aucune décision. Dès lors se pose la question de la portée de la délégation des attributions du CSE à la CSSCT.

Dans le même document sur le CSE, le ministère du Travail affirme que la CSSCT disposerait "par l'intermédiaire des membres de la délégation du personnel qui la composent, du droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes et de danger grave et imminent". Cette affirmation est, quant à elle, contestable. En effet, selon l'article L. 4131-2 du Code du travail, "le représentant du personnel au comité social et économique, qui constate qu'il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, en alerte immédiatement l'employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l'article L. 4132-2". Comment le CSE pourrait-il déléguer les attributions dont dispose chacun de ses membres, en tant que personne physique dotée de la personnalité juridique, à une instance ne disposant pas de la personnalité morale ? De même, n'existe-t-il pas une difficulté juridique à permettre aux organisations syndicales de déléguer par accord, comme prévu à l'article L. 2315-41-2, les attributions du CSE à la CSSCT, alors que ces attributions ne lui appartiennent pas ?

 

Instruire et préparer

Enfin, il semblerait que la notion de délégation telle que visée à l'article L. 2315-38 du Code du travail se rapproche davantage de celle du mandat, défini à l'article 1984 du Code civil, que de celle de la délégation, encadrée par l'article 1336 du même code. En effet, cette dernière concerne la délégation d'une obligation et non celle d'un pouvoir. Le mandat, en revanche, est "un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom". Or l'article 1984 du Code civil prévoit expressément que le contrat de mandat "ne se forme que par l'acceptation du mandataire". L'absence de personnalité juridique de la CSSCT ne paraît pas compatible avec une telle acceptation.

Aussi, même si cela nous ramène à une situation antérieure à 1982 (voir encadré), peut-être serait-il plus prudent de bien préciser dans les accords de mise en place du CSE - ou dans ses délibérations et son règlement intérieur - que la CSSCT n'a vocation qu'à instruire et préparer les réunions et délibérations du comité portant sur la sécurité, la santé et les conditions de travail, et que toute délégation des attributions du CSE en la matière ne prive aucunement ses membres de leurs propres attributions.

A titre d'exemple, il pourrait être prévu que si un élu du CSE signale un danger grave et imminent, il suive l'enquête diligentée par l'employeur au titre de l'article L. 4132-2 du Code du travail et, en cas de divergence sur la réalité du danger ou sur la façon de le faire cesser, il participe à une réunion de la CSSCT, même s'il n'en fait pas partie, dans l'hypothèse où l'employeur la convoque plutôt que le CSE, en application de l'article L. 4132-3 du Code du travail.

 

Repère : nouvelle hiérarchie des normes

Les ordonnances Macron ont accentué ce que la loi El Khomri avait déjà commencé sur le temps de travail : un bouleversement de la hiérarchie des normes. Désormais, on distingue les dispositions d'ordre public, qui s'imposent et auxquelles on ne peut pas déroger ; les dispositions conventionnelles, issues de la négociation collective de branche ou d'entreprise ; enfin, les dispositions supplétives, qui s'appliqueront en cas d'absence d'accord et qui constituent un socle minimum garanti.

Plusieurs cas montrent déjà que des employeurs tentent d'utiliser l'imprécision, voire l'incohérence des textes, pour empêcher des élus d'exercer pleinement leur mandat sur les questions de santé au travail. Et il est à prévoir que cette situation génère du contentieux. C'est d'autant plus inquiétant que, au-delà du droit de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail, c'est le droit à la santé, également protégé par la Constitution et par des textes internationaux, qui est en jeu.

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    Lire la réponse à la question n° 85 du document "Comité social et économique - 100 questions-réponses", disponible sur le site travail.gouv.fr.