La psychodynamique du travail interdite ?

par Nathalie Quéruel / juillet 2009

A l'occasion de son renouvellement d'agrément, un cabinet d'expertise CHSCT a reçu un courrier lui interdisant d'utiliser la psychodynamique du travail pour mener ses interventions.

Je tiens à vous informer [...] que la réalisation d'enquêtes psychodynamiques du travail ne peut être assimilée à des expertises CHSCT, dans la mesure où il s'agit d'une démarche qui s'apparente beaucoup plus à une thérapie. Ces enquêtes doivent donc être exclues. " Cette phrase, en bas de la lettre d'accord d'agrément adressée par le ministère du Travail à un cabinet d'expertise lyonnais, a de quoi surprendre. Alors que la demande des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sur la souffrance mentale a explosé, les pouvoirs publics estimeraient que la psychodynamique du travail ou PDT (voir " Repère ") doit être exclue de ce cadre. En fait, nuance-t-on au ministère, celle-ci ne doit pas être la seule méthodologie utilisée dans l'expertise et doit être complétée par d'autres approches. Pour Jack Bernon, chef du département santé et travail de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), qui instruit les dossiers d'agrément, il ne s'agit pas d'un procès contre la PDT : " L'apport de cette discipline est important dans la compréhension du travail. La question, c'est ce qu'en font les cabinets dans un dispositif d'intervention auprès des CHSCT qui a un cadre. "

 

" Une intervention n'est jamais neutre "

Visiblement, la psychodynamique du travail s'accommode mal des critères actuels de l'agrément, définis il y a une dizaine d'années, avant l'évolution législative de 2002 qui a introduit la santé mentale dans le Code du travail. " Dans l'expertise, les méthodologies utilisées doivent chercher à objectiver les problèmes, par le recueil de la parole de l'ensemble des acteurs mais aussi par la production de connaissances, afin de donner des arguments aux membres des CHSCT ", explique Pascale Mercieca, chargée de mission à l'Anact. Trop subjective et imprécise, la psychodynamique ? " Mais la santé psychique, ça ne s'objective pas !, rétorque Bernard Doerflinger, patron du cabinet lyonnais. Nous fonctionnons avec un groupe de volontaires, ceux qui veulent comprendre leur souffrance au travail. Et c'est à eux que nous remettons en priorité le rapport, avant de le rendre au CHSCT. Il n'y a pas de généralisation, ni de vision de l'expert en surplomb qui apporte du conseil. "

 

Repère : la psychodynamique du travail

La psychodynamique du travail est à la fois une discipline et une technique d'intervention qui étudie les enjeux psychiques de l'engagement dans le travail. Avec cette approche, les travailleurs concernés vont analyser les processus inconscients qui permettent ou non de faire face aux contraintes de l'organisation du travail tout en préservant leur santé.

En savoir plus
  • Les enjeux psychiques du travail, par Pascale Molinier, Payot, 2006.

Voilà qui met à mal la position du tiers neutre que doivent adopter les intervenants et requise par les critères. Bernard Doerflinger reconnaît qu'en matière psychique, une intervention n'est jamais neutre : " Toute investigation sur la souffrance mentale produit des transformations des processus psychiques problématiques. " Du coup, l'enquête en PDT est vue comme une " thérapie ", bien qu'elle ne s'apparente en rien à une psychothérapie individuelle. De plus, cette approche considérée comme plus individuelle que collective, subjective et manquant de neutralité, ne cherche pas à fabriquer du consensus. Or c'est l'objectif de l'expertise : donner des informations aux membres des CHSCT pour nourrir le débat entre organisations syndicales et directions et mettre en oeuvre des transformations de l'organisation du travail ou des pratiques professionnelles. " L'enquête PDT apporte aussi des éléments au débat, mais elle donne un coup de projecteur sur des questions où le consensus n'est pas possible d'emblée, comme quand on tombe sur un problème d'éthique. C'est cela qui dérange dans cette méthodologie ", analyse Bernard Doerflinger. Il ne reste donc plus qu'à faire évoluer les critères de l'agrément. " La PDT n'est pas forcément appropriée pour traiter la majorité des risques psychosociaux, mais dans les cas graves, c'est la seule approche qui permette de débrouiller les problèmes ", estime Bernard Doerflinger. Il serait dommage d'en priver les CHSCT.