Quel rôle pour les CHSCT face aux restructurations ?

par Joëlle Maraschin / janvier 2010

Comment les CHSCT peuvent-ils jouer leur rôle et préserver les conditions de travail lors des restructurations et plans sociaux ? Les deuxièmes Rencontres de Santé & Travail ont tenté, le 20 octobre dernier, de répondre à cette question d'actualité.

Avec la crise, les restructurations d'entreprises s'accélèrent, en faisant des dizaines de milliers de victimes. A tel point que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d'une " catastrophe épidémiologique ". C'est pourquoi le magazine Santé & Travail a décidé de consacrer ses deuxièmes Rencontres au thème " Comment sauvegarder les conditions de travail face aux restructurations ". Organisées à Paris, le 20 octobre dernier, ces rencontres ont permis de dresser plusieurs constats.

Ainsi, comme l'a mis en évidence le rapport Hires1 sur la santé dans les restructurations, remis début 2009 à la Commission européenne, la perte d'emploi s'accompagne de problèmes de santé : détresse psychologique, troubles cardiovasculaires, augmentation des addictions... Mais les restructurations peuvent aussi avoir des effets sur la santé de ceux qui restent dans les entreprises après un plan social, car ils sont souvent confrontés à une intensification de leur travail. " Les transitions socioéconomiques du début des années 1980 ont déjà coûté, selon les épidémiologistes, près de 3 millions de morts additionnels. Force est de constater que nous n'avons toujours pas pris la dimension de ce phénomène en termes de santé publique ", a estimé Claude-Emmanuel Triomphe, coauteur du rapport Hires.

Quid des situations d'inaptitude ?
Marie Wallet Ergonome à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

" Dans la fonction publique hospitalière, des conditions de travail de plus en plus difficiles sont imposées sous couvert d'une sécurité de l'emploi. A l'AP-HP, une réorganisation des sites est prévue d'ici 2014, passant de 38 groupes hospitaliers à 11, en "mutualisant" les postes administratifs et logistiques. Or on assiste à une augmentation des troubles musculo-squelettiques et des risques psychosociaux, en particulier chez les soignants. Comment envisager le maintien dans l'emploi des agents avec une telle diminution des postes plus "doux", comme ceux de l'administratif ? Quid des situations d'inaptitude et de handicap dans ce contexte ? "

Pierre Gojat, responsable syndical CFE-CGC à France Télécom et secrétaire général de l'Observatoire du stress et des mobilités forcées, a évoqué les ravages des restructurations sur la santé au sein d'un groupe pourtant riche et profitable. Confrontés à une vague de fusions, d'acquisitions, de délocalisations, mais aussi de suppressions massives d'emplois, les salariés de France Télécom sont ballottés d'un site à un autre, d'une tâche à une autre. Ils perdent complètement leurs repères, sans plus pouvoir identifier pour qui ni pour quoi ils travaillent. " Ce sont eux qui supportent le coût social de ce véritable chaos organisationnel ", a déploré le syndicaliste.

Coordonner l'action des CE et des CHSCT

A la différence des comités d'entreprise (CE), obligatoirement consultés par l'employeur sur un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont rarement associés aux discussions lors des restructurations. Un arrêt de la Cour de cassation de mars 2008, dit " arrêt Snecma ", a néanmoins changé la donne. La Haute Cour a en effet suspendu une réorganisation du travail qui réduisait le nombre de salariés, au motif qu'elle générait des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Dans le même esprit que cette jurisprudence, les cabinets d'expertise recommandent aujourd'hui aux CE et CHSCT de coordonner leurs actions, afin de défendre à la fois l'emploi et les conditions de travail.

Lors d'un PSE décidé en février 2009 sur le site d'Evreux (Eure) du groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline, le cabinet d'expertise Secafi a ainsi convaincu les représentants du personnel de demander une expertise CHSCT. " En cas de PSE, nous encourageons les CE et CHSCT à travailler ensemble ", a précisé François Cochet, directeur associé du cabinet d'expertise. Alors que le PSE du groupe pharmaceutique prévoyait la suppression de 750 postes, l'expertise CHSCT a démontré l'impossibilité de garantir l'activité dans des conditions de travail tenables. " Nous avons pu empêcher la suppression de 96 postes ", s'est félicité Christian Longuemare, secrétaire du CHSCT concerné.

La réponse ne peut être que politique
Alain Carré Médecin du travail retraité

" La dégradation des conditions de travail est une des techniques pour restructurer et déstructurer. C'est une démarche rodée, qui avance par paliers, et dont l'objectif est de permettre la prise de pouvoir afin d'augmenter la rentabilité. Beaucoup pensent que les effets des restructurations sur la santé sont collatéraux. Au contraire, le malaise et la souffrance des salariés sont utilisés pour faire éclater les collectifs de travail. Les organisations du travail sont de pures machines à exploiter, elles ne s'embarrassent d'aucun impératif moral. La réponse ne peut être que politique. "

Calculs comptables

Face à des restructurations conçues de façon comptable, les représentants du personnel ont tout intérêt à mettre en lumière l'inadéquation des calculs réalisés par les gestionnaires avec la réalité du travail. Ce type de dé­marche permet de limiter la dégradation des conditions de travail, mais aussi de sauver certains emplois. " La question que doivent se poser les salariés et leurs représentants est de savoir s'il sera possible de sortir des pièces de qualité, de faire leur travail dans ces nouvelles conditions ", a ajouté François Cochet.

A ThyssenKrupp Sofedit, un équipementier automobile, la direction prévoyait la suppression d'un millier d'emplois, la fermeture de plusieurs usines et le transfert d'un certain nombre d'activités de travail sur le site principal du Theil, dans l'Orne. Conseillé par le cabinet Syndex, le CHSCT du site s'est invité dans les discussions sur le PSE, expertise à la clé. " L'analyse a montré que le transfert de ces activités était susceptible de se traduire par du travail de non-qualité ", a indiqué Jean-Baptiste Hervé, responsable des expertises CHSCT chez Syndex. La direction de l'entreprise a dès lors accepté de rentrer dans un processus d'accompagnement, étape par étape, en lien avec les membres du CHSCT. " La mise en oeuvre de cette expertise a permis de recréer du collectif dans l'entreprise ", a souligné Johnny Favre, secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Une logique de partage du temps gagné
Jean-Luc Collin Secrétaire national de la CFDT Métallurgie

" Nous payons aujourd'hui les conséquences de modèles comme le toyotisme. Les temps morts sont chassés en permanence pour augmenter la productivité. Mais lorsqu'on supprime par exemple les déplacements sur une chaîne de montage, on supprime un temps de respiration physique et psychique pour le salarié. Il faudrait instaurer une logique de partage du temps gagné, plutôt que cette vision à court terme sur les bénéfices immédiats. Fournir de mauvaises conditions de travail aux salariés a un coût à plus ou moins long terme, alors que le bien-être au travail concourt à l'efficacité économique de l'entreprise. "

Pour Jean-Baptiste Hervé, l'important est que le CHSCT reste dans le jeu pour défendre les conditions de travail alors que l'entreprise est en pleine restructuration. Gérald Le Corre, inspecteur du travail, a cependant relevé que la défense des conditions de travail par le CHSCT n'est pas toujours aisée. " Il ne faut pas nier les chantages à l'externalisation ", a-t-il observé. Même si l'arrêt Snecma constitue une avancée, il a estimé que l'espace de discussion autour des conditions de travail reste encore bien étroit. " Pour les employeurs, négocier les conditions de travail, c'est remettre en cause leur pouvoir de direction ", a-t-il rappelé.

Quand un salarié se suicide
Joëlle Maraschin

" Lorsqu'un salarié se suicide sur son lieu de travail ou à son domicile en laissant une lettre sur sa souffrance au travail, il est insupportable que les supposées fragilités ou vulnérabilités de la personne puissent être invoquées. Les employeurs s'engouffrent dans cette voie pour se déresponsabiliser, alors qu'il n'est absolument pas fondé d'aller chercher les failles de l'individu pour expliquer son geste. Quand un salarié se suicide, il délivre un message sur son travail. Et c'est ce message qu'il nous appartient de comprendre. Il est urgent que la communauté des psychiatres se penche sur le sujet. "

Un mode de gestion

Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS, a clôturé la journée en dénonçant l'instrumentalisation des restructurations par les nouvelles formes de management. " Les restructurations sont devenues un mode de gestion pour mettre les salariés sous pression ", a-t-elle déclaré. Selon elle, ces restructurations sont " orchestrées ", afin de précariser le travail, placer les salariés dans un état de vulnérabilité et imposer plus facilement les objectifs de rentabilité. " Elles sont la preuve d'une défaillance managériale, puisqu'il s'agit avant tout de sous-traiter aux salariés l'ensemble des difficultés ", a-t-elle conclu.

Sortir du chantage à l'emploi
Joëlle Maraschin

Avec la crise, le spectre du chômage et de l'exclusion sociale a permis aux entreprises d'instaurer un véritable chantage à l'emploi. Pour le conserver, des salariés ont souvent été contraints d'accepter une dégradation importante de leurs conditions de travail, au risque d'y perdre leur santé mentale et physique. Sur le thème " Quel autre modèle social pour sortir du chantage à l'emploi ? ", la seconde table ronde organisée lors des Rencontres de Santé & Travail a été l'occasion de débattre des alternatives permettant de sortir de ce chantage.

Transfert de risques. Maryse Dumas, secrétaire confé­dérale de la CGT, et Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT, ont tous deux insisté sur le transfert massif de risques vers la solidarité nationale que constituent les plans sociaux. " La productivité horaire du travail en France est l'une des plus élevées du monde, car elle s'est faite sur l'exclusion du travail des moins rentables, comme les plus jeunes, les seniors ou les personnes malades ", a ainsi expliqué Maryse Dumas. L'individualisation croissante du travail et la mise en concurrence des salariés ont conforté un management par le risque. " Même le traitement social des salariés victimes de la crise consolide les inégalités sociales ", a renchéri Marcel Grignard. Les primes de licenciement, liées à l'ancienneté et au niveau de salaire, ou encore les contrats de transition sont réservés aux moins précaires des salariés. " Le premier plan social, c'est celui qui concerne les centaines de milliers de salariés intérimaires ou en CDD ", a-t-il ajouté.

Droit à la sécurité. Pour la représentante de la CGT, la sortie du chantage à l'emploi passera par la mise en place d'un droit à la sécurité de l'emploi. Les salariés et leurs représentants devraient pouvoir intervenir sur les stratégies de gestion des entreprises. Paul Calendra, ex-directeur des ressources humaines du groupe Thomson, a plaidé pour que le médecin du travail soit doté, dans le domaine de la santé, d'un statut proche de celui du commissaire aux comptes. Les chercheurs présents à la table ronde ont, eux, davantage insisté sur le modèle social, et notamment sur l'organisation des parcours professionnels. Bernard Gazier, professeur d'économie à Paris 1, a ainsi estimé nécessaire la prise en compte de l'articulation entre vie salariale et tâches socialement utiles. Christine Erhel, socioéconomiste, a également rappelé l'importance de pouvoir concilier les contraintes de vie hors emploi avec le travail salarial, et notamment la possibilité pour les femmes de bénéficier de modes de garde pour leurs enfants.