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Quel suivi médical pour les salariés exposés à la silice ?

par Christophe Paris professeur de médecine du travail à l’université de Rennes / avril 2021

La Haute Autorité de santé vient de publier ses recommandations sur la surveillance médico-professionnelle des travailleurs exposés ou ayant été exposés à la silice cristalline. Une première, commentée ici.

Les médecins du travail en ont rêvé, la Haute Autorité de santé (HAS) l’a fait. Les recommandations de bonnes pratiques qu’elle vient de publier, à la demande de la Société française de médecine du travail (SFMT), devraient combler une lacune à propos du suivi médical professionnel et post-professionnel des travailleurs exposés (ou l’ayant été) à la silice cristalline. Désormais, les médecins du travail, notamment, disposeront d’un cadre précis pour mettre en place une surveillance médico-professionnelle tenant compte des connaissances scientifiques et des rapports bénéfices-risques des examens à mettre en œuvre.

Un caractère cancérogène reconnu

La silice cristalline a été classée comme cancérogène1 certain pour l’homme en 1997 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), classement confirmé en 2012 concernant le cancer du poumon2 . Le caractère cancérogène des travaux exposant à la poussière de silice cristalline alvéolaire issue de procédés de travail n’a été reconnu que dernièrement en Europe par la directive 2017/2398/UE. Cette dernière a été transposée en droit français par un arrêté du 26 octobre 2020, avec une mise en œuvre à partir du 1er janvier 2021 ; celui-ci introduit la silice cristalline dans la liste des substances, mélanges et procédés considérés comme cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), au sens de l’article R. 4412-60 du Code du travail.

Le dépistage de certaines pathologies

Dans le même temps, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié en 2019 son expertise collective intitulée Dangers, expositions et risques relatifs à la silice cristalline. Ses principales recommandations portaient sur la révision des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP)3 , sur la révision des tableaux de maladies professionnelles associés et sur l’amélioration de la surveillance médicale des travailleurs exposés. Le rapport préconisait également d’évaluer l’intérêt d’un dépistage de certaines pathologies liées à cette exposition (cancer broncho-pulmonaire, pathologies auto-immunes, tuberculose, atteinte de la fonction respiratoire et rénale). L’avis de la Haute Autorité de santé s’inscrit donc dans la continuité de cette expertise.
Dans un premier temps, la HAS décrit les situations d’exposition professionnelle, qui sont multiples. Que ce soit lors d’interventions sur des minerais ou roches siliceuses (granite, grès, sable…), sur des matériaux contenant de la silice cristalline (par exemple le béton) ou pour la fabrication de matériaux contenant de la silice cristalline (verre, céramiques, pierres semi-précieuses, etc.), de nombreux travailleurs sont exposés. C’est le cas à l’occasion d’opérations d’extraction, de concassage ou de criblage, effectuées sur des roches siliceuses dans les mines et les carrières, ou de travaux souterrains comme le perçage de tunnels, ou encore pendant les activités de transformation telles que la fabrication de pierres tombales ou décoratives.
L’utilisation de sable comme abrasif fait également partie de ces situations exposantes que l’on va retrouver dans la construction navale, les fonderies, ou encore chez les prothésistes dentaires. Le BTP est évidemment un secteur où les sources d’exposition sont nombreuses, avec les interventions de ponçage, de découpage ou de perçage sur le béton, de même que les travaux de démolition et de maçonnerie. Une mention spéciale est accordée aux pierres reconstituées, à partir d’un mélange de résines et de silice, utilisées comme plans de travail dans les cuisines ou éléments décoratifs (salle de bains, dallage extérieur…).

Evaluer l’exposition « vie entière »

La caractérisation des expositions professionnelles à la silice repose sur l’évaluation de l’exposition « vie entière » des travailleurs (voir l’encadré). C’est une donnée qui tient compte à la fois de la durée totale d’exposition (en années), de la fréquence habituelle d’exposition  au cours du travail et d’une estimation de l’empoussièrement (en mg/ m3), idéalement mesuré par une métrologie. Cette évaluation devra tenir compte, le cas échéant, de situations particulières, comme le travail en milieu confiné, et de l’existence de mesures de prévention, adaptées ou non.

Des outils pour évaluer l’exposition
Christophe Paris professeur de médecine du travail à l’université de Rennes

Un ouvrier effectuant, sans protection individuelle ou technique, des travaux de rectification de surfaces en béton pour la construction (avec une exposition médiane à la silice cristalline de 0,15 mg/m3)1 , la moitié de son temps de travail (50 % soit 0,5) et pendant dix ans, se verrait attribuer une exposition cumulée de 0,15 x 0,5 x 10 = 0,75 mg/m3 par année pour ce seul poste. Outre les mesures métrologiques pouvant être réalisées en entreprise, la Haute Autorité de santé (HAS) identifie plusieurs outils pour réaliser cette estimation : la matrice d’exposition à la silice du programme Matgéné de Santé publique France ; les fiches actualisées des situations de travail du BTP (Forsapre) ; le moteur de recherche Solvex de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Sur la base de cette estimation, la HAS distingue deux situations : l’exposition cumulée estimée inférieure à 1 mg/m3 par année est dénommée « intermédiaire » ; l’exposition équivalente ou supérieure à cette valeur est désignée « forte ». Sachant que ce 1 mg/m3 correspond à la valeur limite d’exposition professionnelle actuelle.

  • 11. Source : Agence nationale de sécurité sanitaire, 2019.

De nombreuses maladies

Dans un deuxième temps, la HAS a dressé un inventaire des pathologies associées à la silice cristalline pouvant faire l’objet d’un dépistage, avec des préconisations de suivi. Ces maladies sont nombreuses d’après la littérature scientifique mais, à la lumière du rapport bénéfices-risques, toutes ne nécessitent pas d’être dépistées. Suivant les critères définis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la Haute Autorité recommande le dépistage des affections suivantes : la silicose chronique, les maladies chroniques obstructives des voies aériennes (comme la bronchite chronique obstructive), l’infection tuberculeuse latente et l’insuffisance rénale chronique.
Le dépistage d’autres affections, comme les pathologies auto-immunes, n’est pas préconisé. Le cancer bronchopulmonaire fait quant à lui l’objet d’un dispositif particulier : l’exposition à la silice est intégrée dans un programme expérimental d’évaluation du dépistage du cancer broncho-pulmonaire professionnel, soutenu par l’Institut national du cancer (Inca) et l’Assurance maladie. Ce programme est actuellement en cours de déploiement. Concernant la radiographie pulmonaire, il est recommandé que sa relecture soit effectuée selon la classification internationale des radiographies des pneumoconioses définie par le Bureau international du travail (BIT).

Un suivi médical après la retraite

Bien que plus sensible qu’une simple radiographie pulmonaire, en particulier pour le diagnostic de la silicose chronique débutante, le scanner thoracique n’a pas été retenu comme outil de dépistage. Ceci est justifié par l’irradiation plus importante provoquée par cet examen et par la fréquence élevée d’anomalies non spécifiques (dites « incidentalomes ») ; ces dernières amènent des examens complémentaires, parfois invasifs, sans bénéfice sanitaire associé démontré.
Toutefois, la prescription d’une tomodensitométrie peut être envisagée en présence de signes cliniques respiratoires, d’anomalies lors des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) et, bien sûr, en cas d’anomalies en radiographie pulmonaire, notamment s’il y a suspicion de silicose. Enfin, on retiendra que ce suivi médical ne doit pas s’arrêter avec la fin de l’exposition ou le départ en retraite du salarié. La silice cristalline agit avec effets différés, c’est-à-dire à distance dans le temps de l’exposition. La HAS invite donc à la mise en place d’un suivi post-exposition (SPE) et post-professionnel (SPP).

  • 11. Circ, monographie 68.
  • 22. Circ, monographie 100 C.
  • 33. Un décret du 9 décembre 2020 a confirmé les valeurs limites d’exposition professionnelle à la silice cristalline de 0,1 mg/m3 pour la silice quartz et de 0,05 mg/m3 pour les silices cristobalite et tridymite, ne suivant pas les recommandations de l’Anses d’abaisser ces seuils.