Comment tenir jusqu'à 64 ans ?

par Nathalie Quéruel, Rédactrice en chef adjointe / 13 octobre 2023

« La retraite avant l’arthrite », « Métro, boulot, caveau »... Dans les manifestations contre la réforme des retraites, repoussant à 64 ans le départ à taux plein, les slogans ont marqué le refus de nombreux Français de continuer à travailler dans des conditions qui malmènent leur corps comme leur mental. D’autant que, lorsqu’on avance en âge, les effets de l’activité professionnelle sur la santé se font plus cruellement ressentir. Et maintenant que la loi est passée (au forceps), comment avancer ?
L’allongement des carrières, sans réflexion préalable sur le travail, pose d’infinis problèmes. Aux salariés qui ne pourront pas tenir leur poste ou difficilement ; aux entreprises, confrontées à un accroissement des inaptitudes ou des restrictions d’aptitude, qui devront s’atteler à réduire la pénibilité pour conserver leur personnel vieillissant ; aux acteurs de prévention qui peinent déjà à remplir leur mission de maintien dans l’emploi et devront explorer de nouvelles voies contre la désinsertion.
Dans ce maelström, le CSE se retrouve au front. Ses élus vont être sollicités pour aider les salariés à faire valoir leurs droits, notamment en cas d’inaptitude. Mais ils devront également s’appuyer sur ce que révèlent les situations individuelles de « travail intenable » pour agir sur le plan collectif. Afin que les mesures de prévention bénéficient au plus grand nombre, y compris les jeunes.

Dossier n° 124 Comment tenir jusqu'à 64 ans ?.pdf

© Fred Péault
© Fred Péault

Quels droits pour partir plus tôt à la retraite?

par Jacques Darmon, médecin du travail / 04 octobre 2023

Pour compenser l’allongement de la vie active, les dispositifs de départ anticipé en retraite ont été modifiés, après la réforme d’avril 2023. Trop de salariés ne les connaissent pas, notamment les victimes d’accidents ou de maladies professionnelles. Elles peuvent en bénéficier, à condition que leur pathologie soit reconnue. Voici le cinquième volet du dossier « Comment tenir jusqu’à 64 ans ? ».

La réforme des retraites, entrée en application le 1er septembre 2023, prolonge l’âge de départ légal à la retraite de 62 à 64 ans pour les générations nées à partir de 1968 (pour celles nées entre 1961 et 1968, l’âge de départ augmente de trois mois par année de naissance). Notons que l’âge permettant d’obtenir une retraite au taux plein de la Sécurité sociale, notamment pour les personnes n’ayant pas pu obtenir le nombre total de trimestres requis à l’âge légal de départ, demeure le même qu’avant la réforme : 67 ans.
Un certain nombre de dispositifs ouvrent la voie à une retraite anticipée pour certains salariés, avec une pension à taux plein, même en l’absence de l’ensemble des trimestres à cotiser. Voici désormais leurs conditions d’accès, en l’état actuel des décrets d’application publiés.

Retraite anticipée en lien avec la santé au travail

Départ anticipé pour incapacité permanente à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (article L. 351-1-4 du Code de la Sécurité sociale)
Les modalités d’accès à ce dispositif dépendent, d’une part, du taux d’incapacité permanente (compris entre 10 et 19 %, égal ou supérieur à 20 %) et, d’autre part, du fait que cette incapacité soit liée à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Le taux de 20 % peut être atteint par un ou plusieurs accidents/maladies professionnelles, sous réserve que l’une des atteintes occasionne une incapacité permanente d’au moins 10 %. Les victimes d’un accident de trajet sont exclues de cette retraite anticipée. Une nouvelle disposition du Code de la Sécurité sociale prévoit que les personnes ayant une incapacité permanente d’au moins 10 % doivent être informées de cette possibilité de partir plus tôt dès qu’elles ont 59 ans.
*Peut partir dès 60 ans un salarié victime d’une maladie professionnelle, dont le taux d’incapacité permanente est de 20 % ou plus. Si l’incapacité résulte d’un accident du travail, une condition supplémentaire est requise : il faut que les lésions soient identiques à celles d’une maladie professionnelle figurant dans l’arrêté du 30 mars 2011. Par exemple, une personne ayant subi une amputation à la suite d'un accident du travail ne peut bénéficier de ce dispositif, puisque l’amputation n’est pas recensée dans l’arrêté. C’est un paradoxe, puisque la perte d’un membre donne des taux d’incapacité permanente élevés – 80 % et plus pour un bras amputé – et retentit fortement sur la capacité de travail.
*Peut partir dès 62 ans un salarié, ayant eu une maladie professionnelle ou un accident du travail qui a entraîné une incapacité permanente comprise entre 10 et 19 %. Des conditions supplémentaires doivent néanmoins être remplies, examinées par une commission pluridisciplinaire (article D. 351-1-11 du Code de la Sécurité sociale) dont l’avis s’impose à la caisse de retraite : la victime d’une maladie professionnelle doit avoir été exposée durant au moins dix-sept ans à un ou plusieurs des risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161-1 du Code du travail ; l’incapacité permanente doit être directement en lien avec l’exposition à ces facteurs de risques. Toutefois, ces conditions et l’avis de la commission ne sont pas requis en cas de maladie professionnelle consécutive aux risques professionnels suivants : manutentions manuelles de charge, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition à des agents chimiques dangereux. S’il s’agit d’un accident du travail, il doit, comme précédemment, avoir entraîné des lésions citées dans l’arrêté du 30 mars 2011.

Départ anticipé grâce au compte professionnel de prévention
Avec le compte professionnel de prévention (C2P), les salariés acquièrent des points, quand ils sont exposés à certains des facteurs de risque professionnels listés à l’article L. 4161-1 du Code du travail, selon les seuils définis à l’article D. 4163-2 du même Code. Ce sont les activités exercées en milieu hyperbare, l’exposition au travail répétitif, au bruit ou à des températures extrêmes, et le travail de nuit ou en équipes successives alternantes. Les seuils pour le travail de nuit et le travail en équipes successives alternantes ont été abaissés, le 16 avril 2023, à respectivement 100 et 30 nuits par an. Le salarié peut acquérir quatre points par exposition à l'un de ces risques professionnels. Dix points acquis sur le C2P permettent de gagner un trimestre. Au total, il est possible d’utiliser 80 points pour la retraite, soit une possibilité de partir à 62 ans au lieu de 64 ans.

Retraite anticipée en lien avec des atteintes à la santé (d’origine professionnelle ou pas)

Ces dispositifs permettent, même si le salarié ne dispose pas du nombre de trimestres requis pour sa génération, de partir en retraite avec le taux plein de la Sécurité sociale à partir de 62 ans. Soulignons que le calcul de la pension sera proratisé selon le nombre de trimestres validés par rapport à ceux exigés pour sa génération.

Départ anticipé pour « inaptitude Sécurité sociale »
L’« inaptitude Sécurité sociale », à distinguer de l’inaptitude délivrée par le médecin du travail, est reconnue par le médecin-conseil de l’Assurance maladie. Elle concerne une personne « qui n’est pas en mesure de poursuivre l’exercice de son emploi sans nuire gravement à sa santé et qui se trouve définitivement atteint d’une incapacité de travail médicalement constatée, compte tenu de ses aptitudes physiques et mentales à l’exercice d’une activité professionnelle », selon l’article L. 351-7 du Code de la Sécurité sociale.
Pour cela, l’assuré doit présenter un taux d’incapacité d’au moins 50 %. Celui-ci est apprécié d’après le barème pour l’évaluation des incapacités des personnes handicapées figurant à l’annexe 2-4 du Code de l’action sociale et des familles.

Départ anticipé pour invalidité
Pour une personne touchant une pension d’invalidité, et qui n’exerce pas d’activité professionnelle, le versement s’arrête à 62 ans. A ce moment-là se substitue sa pension de retraite dont il est nécessaire de faire la demande.

Départ anticipé des bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé
Un sujet peut demander l’allocation adulte handicapé (AAH) lorsqu’il présente un taux d’incapacité d’au moins 80 %. Ce taux est déterminé par le barème d’évaluation des incapacités des personnes handicapées. Sauf s’il s’y oppose, le bénéficiaire de l’AAH passe automatiquement à la retraite à 62 ans.

Départ des travailleurs handicapés
Les salariés reconnus handicapés par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, avec un taux d’incapacité d’au moins 50 %, peuvent, s’ils ont travaillé un certain nombre d’années alors qu’ils étaient reconnus handicapés, partir plus tôt en retraite : à partir de 55 ans, avec 112 trimestres cotisés ; entre 59 et 64 ans, avec 72 trimestres cotisés.

Retraite anticipée pour carrière longue

Paradoxalement, le dispositif de départ anticipé à la retraite concernant le plus de salariés, environ 130 000 chaque année, n’est pas en lien avec la santé. Cependant, les sujets éligibles à la retraite pour carrière longue ont commencé à travailler très jeunes et ont exercé le plus souvent des métiers pénibles. Ils sont donc les plus susceptibles d’être victimes d’une usure professionnelle importante, qui n’est le plus souvent pas prise en compte par les autres dispositifs.
S'ils ont cotisé le nombre de trimestres requis, les salariés ayant commencé leur activité professionnelle avant 21 ans peuvent faire valoir leurs droits à pension : à 58 ans s’ils ont débuté avant 16 ans, 60 ans s’ils ont débuté avant 18 ans, 62 ans s’ils ont débuté avant 20 ans et 63 ans s’ils ont débuté avant 21 ans.